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Syrie aient peu de sympathie pour les Yezidis ; ils expriment en effet l’horreur et le mépris qu’ils ressentent à leur endroit par le dicton suivant, qui a pris chez eux presque force de croyance populaire : « Au jour du jugement dernier, les Juifs iront chevauchant sur le dos des Yezidis pour se rendre en enfer. »

Je crois maintenant en avoir assez dit pour que le lecteur le plus étranger à la question comprenne comment la Syrie a bien mérité la réputation dont elle jouit d’être une des provinces les plus turbulentes de l’empire ottoman, et comment elle est au point de vue politique un véritable dépôt de matières inflammables ou explosables. Que sera-ce lorsqu’il faudra encore ajouter qu’à toutes ces nations barbares et corrompues on a superposé un gouvernement qui est lui-même corrompu, et encore plus faible que corrompu ? Telle est cependant la vérité.

La conquête de la Syrie par les Turcs a été un enfant de leur extrême maturité, et un enfant de la constitution la plus débile. Jamais les Turcs n’ont véritablement occupé le pays, soit comme possesseurs et exploitans du sol, soit même seulement comme conquérans qui auraient réduit les populations à l’obéissance. Ils n’ont jamais été que les suzerains nominaux de la montagne ; les pachas envoyés de Constantinople ont la plupart du temps vécu à Damas ou à Saint-Jean-d’Acre à l’état de rébellion ouverte contre l’autorité centrale, se soutenant par les intrigues et contraints de ménager les populations syriennes, afin de trouver en elles des points d’appui. Depuis le XVIe siècle, la Syrie n’a connu aucun gouvernement dans le sens que nous attachons à ce mot, si ce n’est celui de Méhémet-Ali, autre sujet révolté du sultan ; mais il est permis de dire que les horreurs mêmes qui viennent de se commettre ne peuvent pas faire regretter le gouvernement de Méhémet-Ali. C’était l’homme le plus cruel que notre siècle ait pu voir, et c’est de lui plus que d’aucun autre qu’on a jamais pu dire : Ubi solitudinem faciunt pacem appellant. Je suis peu touché, je l’avoue, de l’apparente régularité qu’il était parvenu à introduire dans le fonctionnement de sa machine oppressive, et ce que j’en ai pu voir à deux reprises me laisse peu de doute qu’à tout prendre le désordre et l’anarchie qui, depuis 1840, éclatent de temps à autre en Syrie, lui ont encore fait moins de mal que n’en aurait produit la continuation du règne de Méhémet-Ali. C’était à certains égards un homme de génie ; c’était aussi un Turc de la vieille roche, parfaitement ignorant et surtout complètement insensible à toutes les douleurs des autres hommes. Aussi a-t-il fait périr des milliers de malheureux autant par ignorance que par dureté. Quelle chimère donc que celle de quelques beaux esprits en Europe, qui voulaient bien voir dans le