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de la montagne syrienne, mais avec cette particularité que, le pays ayant subi plus de vicissitudes qu’aucun autre, elle surpasse aussi tous les autres au point de vue de la diversité des races, des religions, des langues et des mœurs. La montagne syrienne offre encore ceci de remarquable : c’est que la plupart des grands conquérans, depuis Sésostris jusqu’à Napoléon, ont été mêlés à ses destinées. Presque aucun des grands mouvemens religieux, politiques ou militaires qui ont influé sur le sort de l’espèce humaine ne s’est accompli sans que la Syrie n’y ait été mêlée. Chacun de ces mouvemens y a laissé sa trace. Aussi n’est-il pas étonnant que les deux ou trois millions d’habitans qu’elle renferme offrent plus de contrastes entre eux qu’aucune autre agglomération d’êtres humains.

Parmi ces divers groupes de populations se présente d’abord la race arabe, qui est la plus nombreuse dans les plaines et les vallées, mais qui a peu gagné sur la montagne. Il y a ensuite les Turcs, apportés par la conquête ; il y a les Turcomans et les Kurdes, venus des plateaux de la Haute-Asie ; les Levantins, ou descendans des familles franques établies dans le pays, et dont quelques-unes prétendent faire remonter leur généalogie jusqu’au temps des croisades. La Syrie compte encore des Juifs, au nombre d’à peu près trente mille ; mais qui nous dira à quelle branche appartiennent les Maronites, les Druses, les Mutualis, les Ansariès, les Yezidis, et dix autres peuplades qui semblent n’avoir rien de commun avec leurs voisins que les sentimens de haine réciproque qu’elles se portent toutes entre elles ?

Ce qu’il y a de remarquable, et ce qu’il ne faut pas oublier dans les circonstances présentes, c’est que, au milieu de cet ensemble si bigarré, les Turcs proprement dits ne comptent que pour une fraction à peine plus importante que les Druses ou les Maronites. Ils sont les derniers venus dans le pays, où ils n’ont paru qu’au XVIe siècle, c’est-à-dire à une époque où déjà leur grandeur et leur puissance d’expansion commençaient à déchoir. Excepté dans les villes, où ils avaient établi deux ou trois colonies de janissaires qui ont péri il y a bientôt quarante ans, ils n’ont jamais occupé sérieusement la Syrie, qu’ils n’ont pu d’ailleurs amener à reconnaître leur suzeraineté qu’après un siècle de luttes. Encore cette suzeraineté était-elle plutôt nominale que réelle, surtout en ce qui concernait les tribus de la montagne. Djezzar-Pacha et Méhémet-Ali sont peut-être les seuls Turcs qui aient exercé sur la montagne une autorité véritable, on sait à quel prix !

Cette variété infinie de races, de nationalités, de langues, de mœurs, suffirait, en tout état de cause, pour faire de la Syrie une véritable Babel ; mais pour rendre la Babel complète arrive la question