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je ne crois pas que les Bédouins en aient réellement d’autre que celui de la rapine, et j’imagine que s’ils aiment à satisfaire cette passion sur les Francs plutôt que sur les autres, cela tient surtout à la réputation qu’ont les Francs par toute l’Asie de posséder des richesses fabuleuses. Ce fléau n’a cessé de devenir chaque jour plus dangereux sous l’administration des Turcs, trop pauvres pour le désarmer par des subsides, trop faibles pour le contenir par les armes.

Il est triste cependant de penser qu’un pays auquel s’attachent tant de souvenirs sacrés pour le genre humain soit livré aux incursions de ces pirates du désert, et que la terre promise aille perdant chaque jour quelque chose grâce à l’incurie du gouvernement et à l’incapacité des races qui la possèdent ! Combien elle gagnerait au contraire, et avec quelle splendeur elle s’étendrait, rien qu’avec un peu de sécurité et un bon régime des eaux, ce qu’entendaient si bien les Arabes et les Maures d’une autre époque ! Comme tout ce désert, infesté aujourd’hui par les Bédouins, se couvrirait vite de moissons et de villages ! Ce ne serait pourtant qu’un simple retour vers le passé, car dans les temps anciens ce n’étaient pas seulement des villages, mais des villes magnifiques et des capitales d’états puissans, comme Palmyre par exemple, qui nourrissaient de nombreuses et riches populations là où le nomade promène aujourd’hui dans la solitude quelques bêtes affamées !

Ce qui est aujourd’hui trop certain, c’est que la Syrie est presque réduite à ce que représentent les deux chaînes de montagnes qui courent parallèlement à son littoral et les plaines ou les vallées qui en dépendent le plus prochainement. Ainsi le domaine de la culture comprend encore la vallée de l’Oronte où s’élève Antioche, celle du Koïk où s’élève Alep, la plaine de Damas qu’arrosent les eaux tombées du versant oriental de l’Anti-Liban. Les villes qui dominent ces plaines ont été protégées par leur position privilégiée contre l’envahissement des nomades. Situées sur les routes que le commerce de l’Inde avec l’Europe a exploitées, et que le pèlerinage de La Mecque a suivies pendant une longue série de siècles, Alep et Damas ont dû jadis à cette particularité un haut degré de splendeur. Leur population, qui même aujourd’hui dépasse peut-être pour chacune d’elles plus de cent mille âmes, opposait aux tribus une supériorité numérique qui les tient encore en respect. Leur importance politique, qui ne souffrait pas qu’elles fussent abandonnées, les revenus qu’elles rapportaient au trésor, toutes ces circonstances les ont préservées ; mais combien, elles aussi, sont-elles déchues de ce qu’elles étaient autrefois ! Que l’on compare ce qu’un Anglais, qui l’avait habité pendant longtemps, nous raconte des magnificences d’Alep au dernier siècle encore, avec les tristes tableaux que nous