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du prince-régent, fit acte d’esclave et en a été justement punie. Lorsque, folle d’orgueil irrité, d’ambition désespérée, Caroline Waddington met sa main glacée dans la main d’un parvenu politique chargé de l’imposer au monde brillant où elle veut vivre, elle va de parti-pris au-devant du remords, s’expose à de poignantes humiliations, et, nous dirons plus, les mérite. Entre leur exemple et celui de la trop naïve Adela Gauntlet, prodiguant à ce pauvre hère d’Arthur les inappréciables trésors d’une abnégation, d’une tendresse presque surhumaine, l’esprit cherche cependant une région moyenne où il puisse échapper à des conclusions par trop absolues, lesquelles le repoussent et l’effarouchent presque également.

Ni marché, ni sacrifice ; contrat libre, association de sentimens et d’intérêts ; — l’instinct sympathique qui suffit au bonheur présent, soumis dans une certaine mesure à la réflexion prévoyante qui cherche à rassembler les élémens du bonheur à venir ; — le cœur écouté, la raison appelée au conseil ; — la tendresse expérimentée des parens admise à contrôler cet idéal trop souvent chimérique dont s’enivre une imagination surexcitée : — n’est-ce point là le mariage tel qu’il doit être ? Et de bonne foi n’est-ce point là ce qu’il tend à devenir ? Pour l’élite des honnêtes gens, dans les sociétés civilisées, il est depuis longtemps ramené à ces conditions en quelque sorte typiques. Et la civilisation, à moins qu’elle ne corrompe l’espèce, doit élargir le cercle où ces lois du bon sens sont en pleine vigueur. Mettez au creuset toutes les déclamations modernes, dégagez-les de leurs exagérations boursouflées, des plaidoyers personnels que vous y trouvez transformés en traités d’éthique, des faits particuliers qu’on y métamorphose en généralités imposantes, et voilà très exactement ce qu’elles vous donneront de mieux acquis, de plus certain. Les romanciers pourront trouver qu’à ce compte leur métier devient plus ardu. Qu’ils se rassurent pourtant. Si nombreux que soient ou deviennent les mariages réguliers et les ménages paisibles, ceux d’une autre espèce ne manqueront jamais. Et c’est dans les premiers aussi qu’ils trouveront toujours le plus de lecteurs et de lectrices. La curiosité, mère du vice, n’en est pas moins sœur de la vertu.

Maintenant que nous avons, — peut-être un peu longuement, — examiné la thèse favorite de l’ingénieux romancier, il nous reste quelques mots à dire d’une tendance qui lui est commune avec quelques-uns des maîtres de la fiction dans son pays et dans le nôtre. Soit entraînement, soit parti-pris, ils vont dérivant de plus en plus vers des procédés et des formules véritablement scientifiques. Et comme le savant ne s’émeut guère, le conteur, qui marche sur ses traces, semble viser au désintéressement le plus complet.