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II.

Les deux ouvrages que nous venons d’analyser ne nous paraissent point de mérite égal. Nous préférons de beaucoup le premier au second, the Bertrams à Castle-Richmond. Ce dernier roman pèche par une construction trop systématique, trop artificielle. L’auteur ne se gêne point assez en vérité pour déplacer à son gré les termes alternatifs de ce problème de statique où les sentimens et les millions se font si naïvement équilibre. Les plateaux de la balance avec laquelle il pèse, suprême arbitre, les destins de ses personnages, montent et descendent avec la régularité du pendule. Owen, Herbert, sont riches ou pauvres à point nommé, selon qu’il est nécessaire pour les contrastes auxquels il faut pourvoir, et le tout rappelle un peu trop le beau roman de Samuel Warren, — Ten Thousand a year ; mais ceci est la moindre question. Il importe peu en effet que M. Trollope ait été moins bien inspiré en écrivant Castle-Richmond qu’en écrivant the Bertrams. Et si nous voulions voir dans l’infériorité du dernier venu de ces ouvrages un symptôme d’affaiblissement, il serait fort possible (nous le souhaitons de grand cœur) que son prochain livre nous apportât un glorieux démenti. Nous ne nous attacherons pour le moment qu’à la vérité morale mise en relief dans les deux récits : à savoir la supériorité du mariage d’inclination sur le mariage de raison, — deux locutions déplaisantes au premier chef, mais qui, généralement admises, servent encore de monnaie courante. M. Trollope professe hautement cette doctrine : voyons s’il ne la compromet pas trop souvent par un excès de sentimentalité irréfléchie. N’y a-t-il pas dans ses idées sur le mariage quelque chose de contradictoire, d’outré, d’incomplet ? La chose vaut la peine d’être examinée.

Voici un beau sur le retour (le colonel Lionel Bertram), un être sensuel, égoïste, toujours à l’affût de quelques guinées qui puissent défrayer ses habitudes dépensières ; vous me le montrez, — caricature excellente, — hésitant entre deux vieilles filles dont il calcule la fortune, dont il veut exploiter la faiblesse, puis échouant tour à tour, pour avoir couru deux lièvres à la fois, auprès de chacune d’elles. — N’est-il pas ridicule ? n’est-il pas repoussant ? dites-vous. — D’accord, et là-dessus pas de discussion possible. — Son fils George, qui n’a rien à lui et dont la profession n’est encore qu’une lointaine espérance, est donc bien fondé à vouloir malgré tout lier à sa destinée aventureuse la belle Caroline Waddington, dont il est épris et dont il se sait aimé ? — Ceci n’est pas aussi certain. — Donneriez-VOUS par hasard raison à cette fille ambitieuse quand elle recule devant les chances du mariage que prétend hâter son présomptueux