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déclinant toujours, les vampires qui vivaient de lui sentaient approcher le moment où leur proie leur échapperait. Pour mille excellentes raisons, ils n’espéraient pas pouvoir continuer vis-à-vis de son fils l’odieux système d’extorsions qui leur avait jusque-là si bien réussi. Il fallait donc, par un dernier coup d’audace, assurer leur avenir. Mollett le père, plus prudent, — plus couard, disait son fils, mieux éclairé, aurait-il dû dire, — reculait devant les rigueurs extrêmes auxquelles il faudrait avoir recours pour obtenir du vieillard épouvanté le dépouillement final qui devait couronner leur œuvre de rapine. Master Abraham, chez qui de grossiers besoins dominaient tous les calculs de l’intelligence, et qui n’était peut-être pas aussi complètement que son père au courant des difficultés de leur situation, prit sur lui d’agir à sa tête. Osant, pour la première fois, se présenter à Castle-Richmond, et décidé à n’en sortir qu’avec les honneurs ou plutôt les profits de la guerre, il porta au malheureux sir Thomas, déjà moribond, la suprême atteinte, et le fatal secret qu’il avait si longtemps étouffé, — ce secret que, dans un moment d’ivresse, l’ignoble Mollett s’était laissé arracher par son misérable fils, -— éclata comme la foudre au sein de la famille qu’il allait ruiner.

Né d’un mariage illégitime, le fils de sir Thomas ne pouvait plus prétendre à l’héritage paternel. Owen, le cousin d’Herbert, était désormais le représentant des Fitzgerald, le maître de Castle-Richmond, le chef de la famille ; il devait l’être du moins aussitôt que sir Thomas aurait exhalé ce reste de vie que, frappé mortellement, il conservait encore. Restait à savoir si Owen voudrait user de tous ses droits, si, profitant de la fiction légale, il lui conviendrait de regarder comme nul un mariage consciencieusement et loyalement accompli, de se mentir à lui-même en méconnaissant le caractère de cette union, nulle devant les hommes, sacrée devant Dieu. La question serait tranchée d’avance s’il n’avait à sacrifier que des intérêts d’orgueil ou d’argent, Owen n’étant ni assez vain ni assez avide pour hésiter à laisser son cousin jouir en paix d’un rang et d’une fortune qu’il lui enviait à peine ; mais ce cousin était un rival. Il lui avait enlevé la jeune fille qu’Owen regardait comme sa fiancée, et à laquelle il n’avait jamais renoncé. Aussi, bien décidé à ne pas se déshonorer à ses propres yeux en profitant des avantages que lui donnait la lettre des codes, Owen l’était moins à laisser Herbert devenir le mari de lady Clara. Une transaction lui semblait possible entre : eux., En échange de Castle-Richmond, auquel renoncerait Owen, Clara Desmond, dégagée de ses derniers sermens, redeviendrait libre de se donner à lui.

La comtesse pourtant n’était pas dans le secret de ces bizarres desseins. Herbert, à ses yeux, avait perdu, avec son rang et ses richesses, tous ses titres à l’alliance des Desmond. Owen, devenu