il hésite, on le voit, à priver de la fortune qu’ils n’espèrent ni ne sollicitent les deux jeunes gens assis à son chevet mortuaire. Si leur union, qu’il a souhaitée naguère, s’était accomplie, ou si même encore aujourd’hui elle était possible !… si George semblait un peu moins indifférent à la richesse qu’on lui pourrait léguer !… Ni George pourtant, ni Caroline n’ont l’œil tendu vers les millions du vieillard. Absorbés qu’ils sont par le sentiment douloureux de leur irrévocable séparation, ils auraient honte d’accorder une seule pensée à ces trésors qui maintenant ne sauraient en rien les rapprocher l’un de l’autre. Harcourt, beaucoup moins étranger à ces calculs qui leur répugnent, se décide, foulant aux pieds toute pudeur, à solliciter le concours de George pour une démarche à faire auprès de l’obstiné vieillard. Repoussé avec dédain par l’homme que sa femme lui préfère hautement, il tente seul, en désespoir de cause, cette manœuvre suprême. Nous n’avons point à dire qu’il échoue ; il sort alors la rage au cœur, déçu de ses dernières espérances, laissant derrière lui, à l’adresse de sa femme, quelques vagues menaces, dont la réalisation est ajournée à la mort du vieux Bertram.
Ce dénoûment ne se fait pas attendre. Le testament est ouvert. Ainsi qu’il l’avait annoncé, le merchant frustre tous les siens de l’héritage auquel ils pensaient avoir des droits, et, sauf quelques legs insignifians dont l’un met George à l’abri de la misère, il laisse ses millions tant convoités à la corporation commerciale dont il faisait jadis partie. Harcourt est venu assister à la lecture du fatal testament qui lui enlève son unique chance de salut. La fortune du vieux Bertram, qu’il faisait luire aux yeux de ses créanciers, les tenait seule à distance. Ils vont maintenant fondre à l’envi sur leur débiteur, bien décidément, bien irrévocablement ruiné. Pliant sous les revers par lesquels la fortune lui fait expier les faveurs dont elle l’accablait au début, le malheureux faiblit et succombe. C’est un tableau sinistre, et d’un effet puissant, que celui de cet homme rentrant seul dans ses magnifiques appartemens d’Eaton-Square, abîmé dans une méditation sans issue, et pris de vertige tout à coup devant le précipice où il se sent entraîné : momens terribles où vous sauveraient le contact d’une main amie, l’assistance d’un cœur chaud et compatissant, mais où l’isolement est mortel, où l’absence de sympathie vous écrase comme le poids glacé d’une avalanche. Vainement il veut déplacer sa pensée. Le souvenir de ses griefs, les angoisses qu’il prévoit, une sorte de dégoût qu’il a de lui-même et des autres, la triste certitude de n’avoir pas un ami, l’enveloppent de froid et d’obscurité. Les ténèbres se font autour de lui. L’éclat des grandes draperies, la splendeur des meubles s’effacent dans la nuit. Il renvoie les domestiques qui apportent des flambeaux : sur la route où il marche, la lumière fait peur… A la fin,