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puissant empire où elle fut heureuse de trouver de son côté la main de la France. Peu de temps après, ses possessions de l’Inde, qu’elle croyait assurées, se virent ébranlées par un soulèvement formidable. C’était assez pour rappeler son attention du côté de l’armée. L’état inquiet de l’Europe, le ton de la presse étrangère, certaines menaces et d’autres causes qu’on connaît achevèrent de réveiller d’Un long engourdissement la sécurité des Anglais, retranchés jusqu’ici derrière la barrière de l’Océan. Aujourd’hui ils regardent la confiance comme un de ces abris de feuillage sous lesquels le voyageur peut bien se mettre à couvert durant une courte pluie d’automne, mais qui., une fois percés, font plus de mal que de bien à ceux qui les recherchent. Instruits par les changemens à vue de la politique extérieure, c’est désormais dans leurs armemens, dans leurs forts et leurs arsenaux qu’ils espèrent, Décidés à s’appuyer sur eux-mêmes, ils trouvent dans les immenses ressources de leurs finances le moyen de répondre à leurs propres craintes par des préparatifs militaires qui n’ont au fond rien d’alarmant pour l’Europe. Tout ce que veut la Grande-Bretagne en s’armant de pied en cap, c’est conquérir la paix : elle est chargée d’une prospérité trop grande, fruit du travail et d’une longue tranquillité, pour s’élancer légèrement et sans provocation dans une guerre.

On connaît maintenant l’état des écoles militaires et des arsenaux anglais. Cette étude nous prépare à entrer dans l’organisation de l’armée et dans le mouvement des volontaires. Ici s’ouvre un nouveau champ d’observations. C’est dans les casernes, les camps, les parcs et jusque sur les places publiques qu’il faudra désormais nous transporter pour acquérir une idée complète des forces de l’Angleterre. Il nous semble imprudent pour l’Europe de juger ces forces sur de vagues rapports qui atténuent ou exagèrent tour à tour le caractère des armemens. Quand je lis les journaux français, je crois, pour me servir d’une expression consacrée au-delà du détroit, que la Tamise est en feu ; quand je lis les journaux anglais, je crois que c’est la Seine. Sans m’arrêter à ces bruits, je pense que les armemens et les réformes militaires du royaume-uni sont de nature à inspirer à l’Europe de sérieuses réflexions. Toute nation du continent, quelle qu’elle soit, qui voudrait se heurter à la Grande-Bretagne devra y regarder à deux fois. Avant tout, elle trouverait devant elle le vieux mur de bois de la vieille Angleterre qui a jusqu’ici couvert les côtes d’un boulevard impénétrable, — derrière les vaisseaux, des soldats qui s’accroissent et se réorganisent de jour en jour, — derrière ces soldats, le pays armé.


ALPHONSE ESQUIROS.