Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

part. De semblables résultats ont été obtenus depuis à une bien plus grande distance. On peut dès lors se figurer les vides que feraient de telles décharges dans les rangs d’une armée ennemie.

M. Armstrong n’avait d’abord forgé que des pièces de petit ou de moyen calibre : il fait aujourd’hui des pièces de 70 et même de 100, hundred-pouhders. On peut voir à l’arsenal des pyramides de monstrueux rouleaux de fer entassés en dehors des ateliers, et qui sont destinés à former les chambres de ces nouveaux canons[1]. L’un d’eux a déjà fait ses preuves l’autre jour près d’Eastbourne. Là s’élève, ou, pour mieux dire, s’élevait à un demi-mille de la redoute une tour, Martello-Tower, qui passait pour très forte, et qui, ayant été jugée inutile, servit de but aux expériences in anima vili. Le duc de Cambridge s’était rendu sur les lieux à la tête d’un nombreux et brillant état-major. Le principal objet d’attaque fut la face de la tour qui regardait la mer. C’était une masse de brique et de maçonnerie offrant une épaisseur de neuf pieds. Des pièces de 40, de 70 et de 100 commencèrent le feu à une distance d’environ 1,000 mètres. Parmi les officiers et les soldats figurait M. Armstrong jouant aussi le rôle d’artilleur. Boulets et boulets, bombes et bombes tombèrent l’un après l’autre sur la vieille tour, qui opposa, je dois le dire, une vaillante résistance. Bientôt néanmoins les bombes agirent sans pitié sur cette robuste construction ; le pilier qui soutenait le toit fut emporté dans la tempête de feu, et des crevasses semblables, selon le langage des artilleurs, aux bâillemens d’un géant blessé s’ouvrirent le long de la ligne du parapet. Ni les pierres reliées aux pierres par des crampons de fer, ni les blocs cimentés aux blocs ne purent défendre cette partie du mur, qui s’en alla par morceaux ainsi qu’une barrière de planches. Le parapet une fois détruit, la tour elle-même ou du moins la face de la tour opposée à la mer se trouva tellement trouée et endommagée qu’elle ne pouvait plus servir d’abri. Une brèche d’environ quinze pieds de large sur sept pieds de hauteur présentait l’aspect sombre et béant d’une voûte qui se rétrécissait de plus en plus en s’enfonçant dans l’intérieur de la tour. On épargna cette ruine qui demandait grâce. Le résultat de la journée fut de fortifier encore la confiance des Anglais dans la puissance des nouvelles bouches à feu rayées et des projectiles

  1. Toutes les parties du canon Armstrong ne se forgent point encore à l’arsenal de Woolwich. La masse des travaux s’exécute à Elswich, dans les fabriques de l’inventeur, engine and ordnance works. Cette manufacture emploie deux mille ouvriers, hommes et garçons, qui se distinguent, dit-on, par leur habileté manuelle et aussi par leurs connaissances dans les mathématiques et le dessin. Il n’y a pas moins de vingt et un ateliers distincts qui se rattachent au seul département de l’artillerie. On y travaille depuis quelque temps jour et nuit, et douze pièces de canon sortent par semaine de cette grande fabrique d’armes. Dans l’arsenal de Woolwich, M. Armstrong a sous ses ordres trois mille ouvriers.