Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme les autres canons, au moyen d’un instrument perforant, lequel plonge et avance dans l’intérieur du corps de sa victime ainsi qu’un bec de vautour. Le tube est ensuite revêtu à la partie supérieure de cercles en fer qui se succèdent en s’élargissant. J’ai vu dans les ateliers un canon Armstrong à peu près terminé. La forme n’a rien de très élégant : au point de vue de l’art, je lui préfère de beaucoup nos vieux canons de bronze[1] ; mais comme ce n’est point de beauté qu’il s’agit, et comme tout ce qu’on demande à une arme de guerre dans notre siècle positif, c’est de bien tuer les hommes, il est aisé de reconnaître à première vue que. ce canon constitue un progrès notable sur les anciennes pièces d’artillerie.

Dans une des rues du département Armstrong s’élèvent, empilés contre les murs des ateliers, les projectiles de la nouvelle bouche à feu. D’après nos idées classiques, il est difficile de concevoir un boulet qui ne soit pas rond ; rien pourtant n’est moins rond que les boulets selon le nouveau système. Ce sont des cônes de la grosseur d’un pain de sucre, avec un cou de bouteille court et ramassé. Ces projectiles sont en fer fondu légèrement doublé de plomb ; ils peuvent être employés sous forme de boulet solide ou de bombe. Leur résistance est telle que ces boulets ont traversé une masse de chêne de neuf pieds d’épaisseur sans se briser. Quand ils font le service de bombes, ces mêmes projectiles se divisent en quarante-neuf pièces régulières et en cent pièces d’une forme indéfinie. L’explosion a lieu à volonté, tantôt quand ils approchent du but et tantôt quand ils touchent l’objet qui leur est désigné comme point de mire. Doués d’une sorte d’intelligence, grâce à l’arrangement des moyens de percussion, ils savent, si j’ose ainsi dire, quand ils sont en pays ami ou en pays ennemi. Dans le premier cas, ris retiennent et dominent si bien leurs fureurs meurtrières qu’on peut les lancer sur le toit d’une maison sans qu’ils éclatent ; dans le second cas, ils sont si susceptibles et si malfaisans que le moindre contact leur fait jeter fer et flamme. On peut aussi arranger les choses de manière à ce que la bombe s’ouvre et se disperse en sortant de la bouche du canon. Dans cette dernière condition, les pièces du projectile se répandent en un éventail de fer et jouent le rôle de la mitraille. Dans une expérience qui eut lieu devant le duc de Cambridge, deux cibles d’une largeur de neuf pieds furent placées à 1,500 mètres du canon. On envoya sept bombes ; les deux cibles furent frappées en cinq cent quatre-vingts endroits, et cela avec une telle force que l’une des cibles, quoique ayant trois pouces d’épaisseur, fut trouée de part en

  1. Je venais précisément de voir dans l’ancienne fonderie deux jolis canons, deux bijoux de cuivre, coulés selon l’ancien système et destinés à être offerts en cadeau au roi de Siam. Comme tout d’ailleurs est relatif, ce qui semble déjà presque une vieillerie en Angleterre sera une grande nouveauté pour les Siamois.