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suffira de dire que les succès obtenus par le canon Armstrong parurent tenir du merveilleux. Depuis lors, cette arme a encore fait des progrès, aussi bien pour l’étendue, des volées que pour la précision du tir. À une distance de 600 mètres, un objet d’aussi faible dimension que la bouche d’un canon ennemi peut être frappé presque à chaque coup. À 3,000 mètres, une cible de neuf pieds carrés, qui, de cette distance, n’apparaissait plus que comme un point dans le ciel bleu, fut atteinte par un temps calme cinq fois sur dix. Le gouvernement anglais récompensa la découverte de M. Armstrong en lui conférant le titre de chevalier et en lui assurant comme ingénieur un traitement annuel de 2,000 liv. sterl. À l’arsenal de Woolwich, où il ne demeure point, mais dont il est un des directeurs, M. Armstrong a désormais un vaste département de travaux pour fabriquer ses canons, qui sont destinés à remplacer dans l’armée anglaise les anciennes bouches à feu. On estime qu’avant la fin de l’année 1860 l’artillerie aura reçu un renfort de mille pièces selon le nouveau système.

Le canon Armstrong est fait tout entier en fer battu ; il se compose de pièces séparées d’une grandeur moyenne et qui se forgent pour ainsi dire une à une[1]. Ce système assure, dit-on, à l’arme un haut degré de force et de solidité. On comprend déjà que, pour traiter le fer et le rendre docile selon les conditions exigées par un tel programme, il faut des machines et tout un outillage d’une puissance extrême. Un des objets qui arrêtent la vue dans les nouveaux ateliers de l’arsenal est un monstrueux marteau. La face et le manche de ce marteau pèsent Il tonnes ; je laisse à penser les coups qu’il frappe, et ces coups peuvent être précipités ou ralentis à volonté. Tantôt il tombe avec la gravité solennelle qui convient à une telle masse, tantôt au contraire il assène jusqu’à deux et trois cents coups par minute. Sa force de précision et de commandement sur lui-même, perfect commande n’a d’égale que sa grandeur. Tour à tour brutal ou délicat, il peut aussi bien mettre en pièces avec une prodigieuse violence une masse de fer rouge qu’ouvrir délicatement une noisette. Les autres machines à l’aide desquelles se forgent, se battent, se contournent, s’enroulent, se tordent, se soudent ensemble les diverses parties du canon rayé ne sont pas moins remarquables. Ce métal qui a la réputation d’être dur se laisse, avec une docilité sans égale, couper, limer, raboter par l’acier qu’anime la force vive de la vapeur. Les copeaux de fer tombent et se détachent du bloc, pelé comme tine pomme, — selon la comparaison d’un ouvrier, — par la lame d’un couteau. Quand les fragmens sont réunis, le canon Armstrong présente un rouleau de fer massif qui se creuse,

  1. Selon l’expression même de l’inventeur, c’est un canon construit, built up.