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tant soit peu farouche, qui contraste avec l’air pacifique de la plupart des cités anglaises. La ville elle-même, dominée par les tuyaux de brique du dock-yard et de l’arsenal, serrée entre les murs de ces deux grandes usines de guerre, coupée de rues monotones qui s’assombrissent en descendant vers la Tamise, n’a rien de gai ni d’attrayant ; mais devant la façade des casernes s’étend une plaine immense, découverte, le Champ-de-Mars de l’Angleterre. L’herbe, foulée par les pieds des chevaux et des soldats, n’y croît pas moins cour cela verte et drue, visitée qu’elle est par de fraîches brises. À droite de cette plaine [Woolwich Common) s’élève un édifice en forme de tente, la Rotonde, qui fut dressé par les ordres de George IV, alors prince régent, dans les jardins de Carlton, pour recevoir les souverains alliés. Transportée à Woolwich, cette tente de pierre recouverte d’ardoises sert maintenant de dépôt (repository) à des modèles d’architecture navale et militaire, à des trophées parmi lesquels se distingue l’armure complète de Bayard, à des inventions et à des armes de guerre qui, prises depuis l’enfance de l’art, forment une intéressante histoire de la manière dont les hommes se sont tués entre eux à différentes époques. Sur la gauche, et à l’extrémité de la plaine, se découvre l’académie royale et militaire (Royal Military Academy).

Cet édifice de brique fut bâti en 1815. Au centre s’appuie une construction solide et carrée, avec quatre tourelles couronnées de dômes octogones et deux ailes qui s’étendent de chaque côté sur une ligne droite. Tout cela forme un ensemble indécis, mélange de l’ancien style anglais et du style d’Elisabeth, mais que je préfère encore à la solennelle froideur de certains ouvrages de pierre. Des pièces de 6, rangées dans la cour d’entrée, indiquent le caractère de l’institution. Ce qui vaut encore mieux que l’architecture du bâtiment, c’est la situation qu’il commande : devant la façade se déploie le Woolwich Common, derrière s’élèvent les collines boisées de Shooter’s-Hill, au milieu desquelles se détache à distance la sombre et vieille tour du château de Severndroog. Il est à remarquer que les Anglais ont généralement choisi pour leurs grandes écoles civiles et militaires des points de vue pittoresques. Le paysage est, selon eux, un moyen d’éducation : les rustiques beautés de la nature disposent l’âme au recueillement, et l’air libre des champs et des bois, en même temps qu’il développe les forces physiques, imprime une sorte de vigueur à la santé de l’esprit[1].

L’origine de cette académie célèbre dans les fastes militaires de la Grande-Bretagne remonte au règne de George II. Elle fut établie

  1. On est surtout frappé de cette préoccupation au collège de Harrow, près duquel on montre encore la tombe où Byron venait s’asseoir, durant les récréations, dans le cimetière, qui domine un point de vue magnifique.