Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans des villes qui renferment deux millions d’habitans. Ce qu’il y a de plus curieux pour un étranger, ce sont les pagodes, les temples de Confucius et de Bouddha, les bonzeries où vivent les moines, et les charmans jardins de. plaisance, où les établissemens de thé et les restaurans sont aussi nombreux que sur les boulevards de Paris. »

En attendant, de nouveaux détails sur le sujet qui nous occupe, nous pouvons déjà tirer de cette lettre quelques données intéressantes sur ce vieux peuple rusé et corrompu qui possède une civilisation bizarre, où l’inexpérience la plus naïve, se combine avec le pédantisme d’une science toute scolastique, Ainsi, les Chinois ont un théâtre où tous les genres sont confondus dans un mélange inextricable de bouffonneries et de scènes attendrissantes, de chant, de danse, de beaux costumes et de marches triomphales et symboliques, théâtre qui a beaucoup d’analogie avec le drame romantique inventé de nos jours. Otez le génie de Shakspeare, et le canevas qu’il a rempli des types admirables de son imagination puissante et gracieuse ne s’élèvera pas au-dessus, de l’enfance de l’art dramatique et du théâtre populaire des Chinois. Il est bon aussi de savoir que le genre de l’opéra-comique, né du développement de l’ariette et du vaudeville, ce mélange très naturel de chant et de dialogue, de, mélopée et de libre parole, d’expansion lyrique et de raisonnement, qu’on croyait avoir été inventé par la France après l’Italie, remonte un peu plus haut dans l’histoire, et que les Chinois, qui ont connu la poudre et l’imprimerie avant l’Europe, n’ont point ignoré l’art de plaisanter en chantant. Il nous reste à apprendre sur quelle gamme ils chantent tout cela, Ici nous pouvons devancer un peu les informations de notre correspondant.

Sans nier même l’existence pratique des différentes gammes, des peuples de l’Orient, et en admettant les tonalités diverses qui en résultent, il resterait toujours, à expliquer d’une manière satisfaisante un tel phénomène de sonorité en le rattachant à une loi de l’histoire qui lui assignerait une place dans le développement de l’art et dans la hiérarchie de nos plaisirs esthétiques. Or ce problème, à notre avis aucun historien de la musique ne l’a encore parfaitement résolu, car il faut bien savoir que les variété des intervalles qui peuvent entrer dans la composition d’une gamme quelconque ne peut pas être infinie, et que cette variété, même est toujours renfermée dans l’octave, qui semble être l’unité primordiale de la nature, où s’agitent et sont contenus le caprice de la sensibilité physique et la puissance créatrice de l’imagination, en sorte qu’il n’est pas rigoureusement juste de dire que la musique est tout entière dans l’homme, et qu’il n’emprunte rien au monde extérieur pour créer ses chefs d’œuvre. Il lui emprunte le son, qui est une combinaison de la matière. Il reçoit de la nature l’organe merveilleux qui perçoit la sonorité, et la sonorité musicale mesurée par l’unité de l’octave, que l’homme n’a pas créée, non plus n’occupe qu’un très petit espace dans l’échelle immense des bruits de la matière. Un fait qui a été surtout mis en évidence par la sagacité de M. Fétis, c’est que l’harmonie de succession, l’harmonie attractive des sons simultanés, pour adopter l’heureuse expression de cet écrivain, n’est possible qu’avec notre gamme européenne. Voilà pourquoi M. Fétis a pu affirmer, mais, selon nous, d’une manière trop absolue, que les Grecs et les peuples de l’Orient n’ont pu connaître les effets