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Leibnitz répond lui-même à l’objection, lorsqu’il signale par exemple les progrès que fera faire à la logique le calcul des probabilités. Les Allemands, qui tiennent aujourd’hui le sceptre de la haute spéculation, ne sont pas si exclusifs sur ce point que l’est en France l’université : Kant a écrit sur l’algèbre, Schelling était un mathématicien consommé, et ainsi des autres. Il est bien vrai que Leibnitz est tombé dans l’erreur quand il a voulu appliquer les lois mathématiques à certains objets que gouvernent d’autres lois ; mais suit-il de là qu’il faille faire de la philosophie un petit domaine isolé, du philosophe un spécialiste sui generis ne touchant pas, par prudence, aux mathématiques, à la philologie, à la religion, à l’économie politique, à la physiologie, à l’étude enfin de tout ce qui concerne l’homme ? Non certes ; il faut au contraire que toutes les sciences, se limitant les unes les autres, concourent à former la philosophie, cette science des sciences. Tel était le grand principe de Leibnitz, dont l’idée capitale était de restituer à la philosophie le caractère qu’elle avait dans l’antiquité, alors qu’elle consistait dans la recherche du vrai à travers l’universalité des connaissances humaines. C’est par là qu’il est le plus digne d’être étudié, et qu’il est pourtant le moins connu en France ; c’est ce côté de son génie que devrait enfin faire paraître au grand jour l’un de ces philosophes véritables qui sont aussi des savans.


ALBERT BLANC.


ESSAIS ET NOTICES.


DE LA MUSIQUE CHINOISE.

Il nous arrive souvent de recevoir des lettres de personnes inconnues qui s’intéressent aux questions que nous traitons habituellement dans la Revue. Il est extrêmement rare que ces lettres, nombreuses et diverses de ton, qui nous arrivent de diverses parties de l’Europe, et même de plus loin, ne soient pas favorables aux principes que nous défendons ici, et qu’elles n’aient pour objet d’encourager nos faibles efforts à poursuivre l’erreur et à maintenir haut la critique d’un art puissant sur lequel il s’écrit tant de pauvretés. Nous nous sommes souvent reproché d’avoir laissé la plupart de ces lettres sans réponse, entraîné que nous sommes par tant de choses sérieuses ou futiles de l’heure présente, qui absorbent forcément notre attention. C’est un tort, car il nous semble que lorsque cette correspondance, souvent anonyme, touche à des sujets d’un intérêt général pour l’art, il y a profit pour tout le monde à la soumettre au jugement du public, et à débattre devant lui le point qui nous attire, à discuter soit des contradictions qui méritent une réfutation, soit des éloges qui s’élèvent plus haut que notre personne. C’est ce que nous voulons essayer aujourd’hui à propos d’une lettre que nous adresse de la Chine une personne qui occupe un rang élevé dans l’armée française.

Nous devons la connaissance de la personne honorable qui nous écrit de Shang-haï à son goût très éclairé pour l’art musical, et particulièrement à un travail qui a paru dans la Revue il y a quelques années : le Chevalier