haut et bombé se creusant au-dessus de deux sourcils noirs et épais,… des yeux Habituellement ternes et voilés ; mais qui dans de certaines circonstances concentrent une puissance extraordinaire de vie et de passion, un nez droit d’un tissu aminci et transparent, des lèvres charnues et sanguines, des joues imperceptiblement duvetées… Et pour porter cette tête, mon ami, un torse admirable ; une poitrine large et développées, des épaules pleines, blanches et grasses, des seins fermes et droits ; et des bras durs et modelés comme s’ils étaient de marbre. » Je passe la manière de marcher. Et comment pensez-vous que l’auteur exprime les perpléxités morales de son héros en présence de sa maîtresse, à qui il craint de dire son secret ? « Le mot amour lui paraissait de feu, comme la robe de Marguerite lui paraissait de plomb ; il n’osait prononcer l’un, et se croyait trop faible pour relever l’autre. » Voilà, ce me semble, qui est aller droit au fait et dire le dernier mot. Il est vrai que cette belle personne ne valait guère d’autres adorations, comme le reste de l’histoire le montre surabondamment. Cela prouve que les deux amans étaient très dignes l’un et l’autre de devenir des héros du roman réaliste. Cette crudité de peinture est en quelque sorte la marque originelle d’un récit où se révèle pourtant un talent qui a de la verve, de la jeunesse et des dons heureux.
Ce n’est pas dans ce monde aux élégances douteuses, aux agitations frivoles, aux amours faciles, que l’auteur de Véronique, M. Eugène-Muller, puise son inspiration et cherche les élémens de ses récits. Il va au loin, dans le village, à la découverte des drames obscurs des campagnes. Au fond, c’est l’instinct réaliste se manifestant dans d’autres conditions et sous une autre forme. L’auteur s’était déjà révélé par un premier récit du même ordre, qui, en dénotant du talent, n’était point assurément le poème des mœurs populaires et rustiques. C’était plutôt une œuvre de bonne intention et d’inexpérience. M. Eugène Muller est-il plus heureux dans Véronique ! L’inexpérience n’a point disparu, pas plus que la bonne intention, et l’essai continue, ce me semble. Dans le roman nouveau, on pourrait dire qu’il y a deux choses, un cadre et un tableau. Le tableau, c’est l’histoire de Véronique ; le cadre est une fiction qui ressemble à toutes les fictions du roman moderne, qui en a l’exagération, les couleurs criantes et confuses. C’est un jeune homme, noble de naissance, ayant usé et abusé de tout, perdu de désordres et de vices, ruiné, flétri d’âme et d’esprit, et qui, tombant un jour chez un oncle, dans un village de la Loire, se donne, pour se désennuyer, le passe-temps de séduire une jeune fille qu’il rend mère. Il a cru s’amuser seulement, et tout à coup il sent en lui-même une transformation intérieure au contact de cette passion naïve et ardente qu’il inspire. Il se reprend à la vie par l’amour ; au moment où il ne parle de rien moins que de vivre désormais avec la jeune Véronique, de se créer une existence par le travail, une fatalité sépare ces deux invraisemblables amans, et le jeune séducteur ne reparaît que vingt ans après, lorsque la destinée de Véronique s’est accomplie, lorsque la jeune fille a eu le temps d’épuiser toutes les amertumes attachées à une faute. C’est cette destinée de Véronique qui est le fond du tableau. Qu’arrive-t-il en effet ? Dans le premier instant d’abandon, Véronique, le cœur navré et obstiné dans son amour ; se sent perdue : elle est l’objet des railleries grossières des jeunes gens ; son maître ne veut plus la garder dans sa maison.