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de la situation de 1849. Que l’on se place au point de vue catholique ou anti-papiste, jamais, il faut en convenir, notre époque n’aura assisté à un plus surprenant spectacle. Nous ne saurions nous représenter exactement les sentimens qu’excitera une épreuve si neuve ; nous désirons seulement par prudence qu’elle nous soit épargnée. Enfin pouvons-nous oublier que les forces du saint-père sont commandées par un général français ? On peut porter des jugemens divers sur la résolution qui a poussé le général Lamoricière à la défense du pape ; mais si Garibaldi va l’attaquer, peut-il y avoir pour des témoins français une situation plus dramatique ? Sous l’émotion de cette scène, y aura-t-il parmi nous, dans notre armée, des spectateurs assez froids pour ne se souvenir que des divergences politiques, pour oublier qu’il s’agira de l’honneur, de la vie peut-être d’un de nos plus glorieux officiers, d’un général de l’âge héroïque et poétique de nos guerres africaines ? Qui osera alors en France, et parmi ces soldats français qui du haut des remparts de Rome pourront suivre les chances du combat, qui osera souhaiter que Garibaldi soit le vainqueur et Lamoricière le vaincu ? Nous présentons ces observations aux Italiens, certes sans animosité contre leur cause et, nous le croyons profondément, dans leur intérêt véritable. Qu’ils ménagent l’honneur de la France, des Français illustres, des sentimens français. En vérité, est-ce trop exiger d’eux que de les inviter, pour l’amour de leur cause surtout et un peu aussi par égard pour la France, à s’arrêter un moment et à réfléchir devant ces graves perspectives ?

Voilà ce qui nous frappe dans les événemens qui, depuis quelques mois emportent l’Italie. Tout est prévu, tout est noté. On dit d’avance : telle chose arrivera et elle arrive. Ce qui est prévu depuis longtemps et n’est point encore accompli conduit à des conséquences désastreuses que les plus puissans politiques semblent avoir à cœur de vouloir conjurer. Que nous manque-t-il donc pour arrêter le torrent ? Ce n’est pas la prévoyance ; elle est si aiguisée, si subtile ; elle rapproche tant le mal du regard, qu’elle devient une fatigue, une obsession, une maladie. Ce n’est pas la puissance ; nous passons tout notre temps à la célébrer dans nos discours de gala. Ce ne sont pas les bonnes intentions : nous en sommes pavés. Ne serait-ce pas la volonté ? Nous entendons une de ces volontés fortes et persuasives, une de ces volontés qu’anime la puissante conception des combinaisons politiques, la vue complète des moyens par lesquels on les fait réussir, et cette déclaration ferme et hardie des desseins arrêtés qui enlève tout prétexte à ceux qui se croient intéressés à perpétuer les ambigüités, et s’exprime par des mots décisifs et souverains comme l’action elle-même.

Nous voudrions, pour nous détourner du triste spectacle des affaires extérieures, avoir du moins la diversion de la vie politique intérieure. Cette compensation nous fait défaut. Il y a eu, depuis quelques jours, les élections municipales : elles ont surtout constaté la triste indifférence du corps électoral. Viendra-t-il donc un temps où, sur ce vieux sol gaulois, il faudra employer la force pour décider les citoyens, comme autrefois les curiales des