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de la nouvelle Italie. Le Piémont et les provinces du nord ne résisteront pas à cette influence et à ce prestige. Le gouvernement régulier deviendra plus difficile que jamais au cabinet de Turin. Il devra subir toutes les conséquences des desseins de Garibaldi, il sera compromis par ses nouvelles entreprises, sans avoir au moins la compensation de contrôler ces desseins et de décider de ces entreprises. Sans parler de l’intérêt d’ordre et aussi d’humanité qu’il y aurait à empêcher que le royaume de Naples ne tombât pas dans un état d’anarchie, en se plaçant au point de vue général de l’Italie comme au point de vue particulier de la sécurité du Piémont, du prestige et de l’ascendant du roi Victor-Emmanuel en Italie, il semble impossible que de cabinet de Turin se résigne à un tel effacement de lui-même et à un tel agrandissement de Garibaldi. Pour la paix de l’Europe, pour l’intérêt du gouvernement régulier d’un peuple de dix millions d’âmes, pour que la direction de la révolution italienne puisse être contenue et modérée elle-même par les responsabilités d’un gouvernement régulier, il semble que l’on doive désirer que l’autorité réelle du roi Victor-Emmanuel s’établisse à Naples le jour où s’y sera évanoui le fantôme de la royauté de François II. Nous ne sommes pas étonnés des desseins que l’on prête à cet égard à la cour de Turin : nous trouvons naturel même que cette cour ait pris ses dispositions en vue d’une telle éventualité, et que les quinze cents hommes de troupes de débarquement que porte l’escadre sarde soient déjà destinés à occuper Naples le jour où cette capitale restera sans gouvernement. Nous ne serions pas même surpris que, devant une nécessité si impérieuse, des puissances qui ont blâmé la conduite du Piémont dans ces affaires fussent bien aises de voir une prompte occupation piémontaise s’effectuer à Naples et y conjurer les désordres et les périls d’une révolution.

Mais des difficultés d’un autre ordre, et qui ne paraissent guère moins périlleuses, sont attachées pour le Piémont à cette résolution. Comment concilier la juxtaposition dans le royaume de Naples d’une autorité piémontaise officielle et de l’autorité extra-officielle de Garibaldi appuyé sur ses vingt-cinq mille volontaires, sur une partie au moins de l’armée des Deux-Siciles et sur le peuple napolitain ? Garibaldi consentira-t-il à se subordonner à Turin ? Cela parait peu probable, à en juger par ses derniers antécédens. Garibaldi s’est donné pour mission de délivrer et d’unifier l’Italie ; c’est pour n’être point troublé dans l’accomplissement de cette œuvre par les scrupules diplomatiques prêtés par lui au cabinet de Turin qu’il a ajourné l’annexion effective de la Sicile : c’est pour n’être point dérangé, contrarié, traversé dans ses desseins qu’il n’a plus voulu être l’agent responsable du gouvernement de Turin, et qu’il s’est fait le dictateur indépendant d’une révolution. s’il refuse de se replacer à Naples sous l’autorité et la contrainte officielle, que fera le cabinet de Turin ? Osera-t-il lutter avec Garibaldi ? Le pourra-t-il ? Cette rupture devant laquelle il a reculé lorsque Garibaldi n’était encore qu’en Sicile, l’accomplira-t-il devant le dictateur