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dence, et après des délibérations aussi prolongées que possible. Croyez, si vous voulez, que le mal est toujours vaincu, mais croyez aussi qu’il se relève toujours de sa défaite et que l’insuccès ne peut le corriger.

J’aime mieux vous recommander la seconde des conclusions de M. Quinet : soyez fidèle à la nature. Vous avez vu ce qu’il en a coûté à Merlin pour avoir obéi à un caprice d’orgueil et pour avoir rompu trop brusquement avec elle : des pèlerinages accomplis dans la tristesse, des inquiétudes qui n’ont pu être apaisées, partout et toujours des mécomptes ! Pour s’en être éloigné un instant, rien ne lui a réussi qu’à demi. Tout est fini le jour où il épuise les enchantemens dont elle a rempli son âme. Ce jour-là, il veut retourner vers la fontaine sacrée, dont les eaux sont inépuisables, pour rafraîchir son cœur et retremper son génie épuisé ; mais cela ne lui est plus permis. Merlin ne peut embrasser Viviane que dans la mort. Restez donc fidèles à la nature, non pas d’une fidélité capricieuse, mais d’une fidélité de tous les instans ! Restez en relation constante avec elle, et votre âme ne sera jamais altérée, et votre cœur ne se desséchera pas, et vous n’aurez pas à craindre les embûches du père de Merlin tant que vous reposerez au bord de ses eaux, sous ses ombrages bénis, car elle est l’amour lui-même, et elle est gardée contre les atteintes du mal par les génies de la pitié et de l’humanité. Dès que vous vous éloignerez, vous ne serez plus protégés, et vous deviendrez le jouet de Satan. Ne dites donc pas comme beaucoup le disent : J’irai vers elle et je remplirai mon cœur à sa source, puis je m’en retournerai à ma demeure et je ne reviendrai vers elle que lorsque j’aurai épuisé ma provision, car qui sait si vous aurez jamais occasion de refaire votre pèlerinage, et si vous sentirez de nouveau le besoin de le refaire ? Le plus grand génie qui s’éloigne de la nature, ne fût-ce qu’un instant, s’est rendu le complice du mal et du mensonge ; l’homme le plus misérable qui a bu à sa source, ne fût-ce qu’une seule fois, a connu la vérité, l’amour et la tendresse. Telle est la leçon de morale pratique qui sort du livre de M. Quinet, et c’est à celle-là que nous voulons nous en tenir. Nos pères ont connu la vieille maxime : revenez à la nature ; en la recommandant après M. Quinet, je ne me rends suspect d’aucune hérésie, et je ne cours pas le risque de me faire accuser de patronner des nouveautés hétérodoxes.

Émile Montégut.