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un instant station dans l’ancienne croyance hébraïque, à l’époque de la réformation, mais qu’il n’y resta qu’un instant et qu’il s’en éloigna rapidement, avec une sympathie respectueuse, sans efforts et sans déchirement. Si telle est la véritable explication de l’épisode de l’Eden retrouvé, les protestans n’auront pas lieu d’être très satisfaits de M. Quinet ; mais rien ne les oblige à expliquer cet épisode comme nous venons de le faire. Ils peuvent y voir toute autre chose par exemple quelque hardiesse philosophique que nous n’expliquerons pas, laquelle dépasse tous les dogmes, et par conséquent ne s’adresse point particulièrement à celui qui fait leur foi.

De tous les voyages de Merlin, le plus curieux est celui qu’il fit en Grèce au sortir de l’épreuve qu’il subit à Rome avec tant de fermeté. Je recommande au lecteur cette partie du livre de M. Quinet ; elle est belle, éloquente, tout animée de cette ironie grave et sépulcrale qui est particulière à M. Quinet, et qui se marie si aisément aux grandes images bibliques. La mort y explique tranquillement, philosophiquement, ses théories sur la beauté du néant et le progrès par la destruction. Tout ce qui existe se hâte vers la tombe ; par conséquent le progrès consiste à détruire le plus possible. Il est bon de créer, mais il est meilleur de détruire. En effet, la mort étant la fin de tous les êtres, il est saint, il est légitime, il est juste de hâter par tous les moyens possibles l’accomplissement de cette fin. Telle est la remarquable philosophie que le roi de Grèce Épistrophius expose à Merlin, qui n’en revient pas de surprise, tout enchanteur qu’il est. « Sachez, lui dit-il, que, pour des êtres tels que nous, rien n’est plus odieux qu’une ville neuve. Sans aucune exagération, nous étouffons. Tout édifice est pour nous une prison, à moins qu’il ne soit lézardé. Assurément j’ai lieu d’être satisfait de mes palais de Mavromati, de Sparte, de Mégalopolis. Nul pan de muraille n’arrête, n’attriste, ne limite mes regards. Pourtant j’apprends que mon frère Évandre, duc de Syrie, mon beau-père Micipsa, roi de Babylone, et Polyclète, duc de Bythinie, sont encore mieux logés que moi. Le travail, chez eux, est plus avancé, le progrès plus rapide, la civilisation plus parfaite, car la trace même des édifices a disparu sous le pied des chèvres, résultat que nous ambitionnons tous, mais qu’un petit nombre seulement a pu atteindre. » Les mœurs, les lois, les divertissemens du pays étaient en rapport parfait avec ces belles théories, comme Merlin put s’en convaincre le jour où il assista aux jeux nationaux. Le spectacle s’ouvrit par un hymne religieux à l’hypocrisie, souveraine des hommes et des dieux, puis les concurrens se disputèrent les prix du sophisme, et luttèrent à qui renverserait le plus rapidement une colonne ou un pan de mur ; puis, pour couronner la fête, on déposa sur les autels du