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dait. Cette dernière hypothèse est probablement celle qui se rapproche le plus de la vérité, car Satan vint encore une dernière fois faire une tentative désespérée dans la prison de Merlin, qui répondit par cette parole restée célèbre : Sancta simplicitas ! Puis il se passa une scène qu’on osera comprendre, et qui est la reproduction de la scène divine que le Nouveau-Testament propose en imitation à tous les hommes. Merlin est jugé, condamné et livré aux insultes et aux crachats de la populace. Je n’expliquerai pas cette scène, dont le sens n’est pas d’ailleurs difficile à deviner. Notre époque est une époque pleine de susceptibilités, et abondante en personnes d’autant plus zélées pour l’église visible qu’elles se soucient moins de l’église invisible, d’autant plus zélées pour les institutions qu’elles se soucient moins des principes. Nous n’essaierons pas d’atténuer par nos commentaires la portée philosophique de cette scène, où l’on voit le Christ martyrisé une seconde fois au nom du Christ lui-même par le diable en personne. Que les pieuses intelligences qui verraient dans la passion de Merlin une atteinte à leur foi se rassurent cependant : la hardiesse de M. Quinet est moins grande qu’on ne pourrait le croire, car, philosophie à part, la passion de Merlin symbolise cette époque vraiment diabolique, où l’église fut livrée aux puissances de l’anarchie et de l’impiété, l’époque du concile de Constance et du bûcher de Jeanne d’Arc. L’impiété hypocrite et sacrilège de cette époque est tellement évidente que je ne crois pas qu’il y ait une conscience catholique qui eût le triste courage de la défendre. Nous ne voulons pas blanchir M. Quinet, mais nous ne voulons pas que le lecteur, par un jugement précipité, le déclare plus noir qu’il ne l’est réellement. Et puis, avec des œuvres comme Merlin, l’esprit du lecteur a une ressource charmante qu’il n’a pas avec tout autre livre, la ressource de n’y voir que ce qui lui plaît. Pour expliquer notre pensée, nous signalerons le livre intitulé l’Éden retrouvé. S’il contient ce que nous croyons y voir, les protestans n’auront pas lieu d’être plus satisfaits que les catholiques. Les pérégrinations de Merlin à travers l’espace le conduisent un jour dans l’antique Éden, berceau de la race humaine. Aux portes du jardin, il rencontre le couple biblique qui lui demande paternellement des nouvelles de son ancien jardin de délices ; mais Merlin est peu enthousiaste. En quelques minutes, son regard a parcouru ce berceau austère de la race humaine, et il l’a trouvé bien petit. Une larme pieuse a mouillé sa paupière, un soupir de sympathie a gonflé sa poitrine, puis il s’est éloigné rapidement. Merlin ne rentrera jamais dans cet Éden, désormais trop étroit pour lui. C’est à peine si Viviane pourrait s’y construire une chambre de verdure. Cela signifie, si nous avons la vue bonne, que le génie humain a fait