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son plus beau rayon. Son haleine ressemblait à l’ambroisie, comme pour dire à la volupté ancienne : Sois tranquille ! quoi qu’il arrive, je te reste fidèle. » Ce soir-là, un cavalier vient frapper à la porte du premier monastère qui ait été élevé dans la Gaule. Là habite « une fille de roi que l’ennui de la terre a saisie dès son berceau. Ouvrez, je suis un pénitent blessé, j’apporte des nouvelles du Calvaire. Je viens de saluer Bethléem et Nazareth. Ma sœur, je vais périr si vous tardez encore. Souvenez-vous du bon Samaritain. » La vierge charitable ouvre la porte, et maintenant écoutez la fin de l’aventure ! « La nuit est venue, une nuit de l’Érèbe, épaisse, sillonnée d’éclairs. La vierge blanche, sainte, se jette sur son lit plus blanc que l’aubépine en fleurs et s’endort la tête sur son coude ; mais agitée, inquiète, elle a oublié de faire le signe de la croix au pied du crucifix. L’enfer veille et l’a vue ; il a dit : C’est bien ! elle est à moi. La nuit est venue. La jeune fille est restée sainte. La voilà endormie ; mais quel sommeil et quel songe, grand Dieu ! Au fond des bois quels soupirs de flammes ! quelles larmes dans les nues ! quel enfer dans le ciel ! La nuit est passée, le jour est beau et radieux. La sainte s’éveille, son hôte est parti. Elle tombe à genoux, se voile la face, se noie dans les larmes. Ô saints et saintes, protégez-la d’un regard ! Pleurs brûlans sur les dalles, prières, vœux, macérations, abstinences, cilices, que faut-il donc encore pour effacer un songe ? »

Ainsi est né Merlin, d’une sainte et d’un mauvais rêve, en vertu d’une décision des forces divines et des inaccessibles entités réunies en parlement métaphysique pour trouver une combinaison nouvelle dans le gouvernement philosophique du monde. On n’avait pas essayé encore d’une combinaison entre l’amour divin et l’impureté satanique ; aussi la proposition que mit en avant le sagace esprit de l’abîme fut-elle adoptée avec empressement. Merlin restera fidèle à cette double origine pendant toute sa longue histoire. Jamais enchanteur n’aura une telle préoccupation des choses idéales, et jamais en même temps il ne comptera dans son histoire autant de pages infernales. Vous pouvez suivre facilement à travers les siècles les mouvemens des deux âmes qu’il porte en lui. Croisades, chevalerie, piété charmante, concorde et tolérance, fraternité universelle, règne de la justice, voilà les mélodies idéales et sublimes que chante l’âme de sa mère ; fureurs fiévreuses, inconstances et impatiences diaboliques, scepticisme destructeur, impiété ivre de blasphèmes à faire frémir, soudainetés criminelles d’une main prompte au meurtre, dragonnades, massacres de septembre, règne de la terreur, voilà les mélodies infâmes, souvenirs de la messe du sabbat, que chante l’âme de son père. Et cependant la discordance ne sera pas trop forte, grâce à la bonhomie de Merlin, car Merlin sera bon et juste, même