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poète aime à chanter sont les mêmes que le critique aime à méditer. La composition de cet essai est à la fois ingénieuse et hardie. Cette histoire poétique réunit les caractères du visible et de l’invisible ; elle se passe à la fois dans le temps et hors du temps ; il semble qu’elle nous soit connue, et cependant nous ne l’avons vue écrite nulle part. Nos souvenirs historiques nous permettent de suivre facilement l’enchaînement de ses péripéties, nous pourrions fixer avec précision les dates de chacune d’entre elles, et cependant les chroniques ne nous ont parlé d’aucune des aventures qu’elle raconte. De même que lorsque nous lisons l’histoire, nous sentons partout la présence d’un élément idéal sans pouvoir le saisir nulle part, ici nous sentons partout la présence d’un élément historique qui fuit et se dérobe devant notre esprit. M. Quinet a rencontré à l’origine de l’histoire de France une légende fabuleuse, et cette légende, soigneusement examinée, lui a paru exprimer sous une forme concrète toutes les qualités éparses du génie français, et expliquer toutes les vicissitudes de son histoire. L’instinct populaire, par une sorte d’intuition prophétique, a comme pressenti dans la légende de Merlin toute l’histoire encore cachée de la France, si bien qu’on peut dire que le peuple français a deviné sa destinée lorsque cette destinée était encore embryonnaire et enveloppée dans les limbes de l’éternité. Toute l’histoire de France n’est que la traduction en acte de cette destinée dont la légende de Merlin est l’expression en puissance. Et cela n’est pas seulement vrai de la France, tous les peuples ont ainsi raconté leur destinée et ont exprimé leurs prophéties sur eux-mêmes dans leurs légendes nationales. Maintenant faites concorder ces légendes entre elles ; mettez leurs héros en présence les uns des autres, et vous obtiendrez sous une forme symbolique et poétique le plan de l’histoire universelle, car les caractères de ces divers personnages vous permettront de déterminer le conflit inévitable et le jeu fatal de leurs passions, de leurs vices et de leurs vertus. Poussez hardiment l’expérience et prolongez ces légendes à travers le temps ; douez d’immortalité leurs personnages fabuleux, et aussitôt la série entière des faits va se dérouler, et le parallélisme de l’histoire idéale et de l’histoire réelle va se découvrir à vos yeux. La légende est donc, pour ainsi dire, comparable à la fameuse tente de Pierre Schlemil ; pliée, elle est un jouet d’enfant qui peut tenir dans la main ; déployée, elle peut couvrir le territoire d’un empire. Merlin l’Enchanteur n’est pas autre chose que la vieille légende du cycle de la Table-Ronde prolongée à travers le temps depuis l’aurore de l’histoire de France jusqu’à l’heure où nous vivons, et prolongée, non pas arbitrairement, mais conformément à la logique qui la domine. Le problème était celui-ci : étant donné