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patiemment que sa colère soit calmée. Il n’est pas rare de voir sur la lisière d’un bois quelques chasseurs accroupis dans une cabane et fumant tranquillement leur pipe en face d’un éléphant qui s’agite dans les convulsions les plus violentes. Le voyageur éprouve une vive surprise quand ce détail de paysage lui apparaît pour la première fois. Au bout de quelques jours, l’éléphant, épuisé par la lutte, commence à se résigner ; son instinct lui apprend qu’il est dominé par une force supérieure : il se laisse approcher par ses impassibles gardiens, accepte la nourriture qu’ils lui offrent, des feuilles de platane, du bois fraîchement coupé, de l’eau en abondance ; il s’habitue à ces bons traitemens, et lorsqu’il paraît devenu tout à fait sage, on se hasarde à lui dégager les jambes et à l’emmener. Ce système de domptage est, comme on voit, des plus simples. Il réussit presque toujours, et l’éléphant apprivoisé devient le serviteur le plus doux, le plus utile du paysan cingalais.

Le gouvernement entretient un certain nombre d’éléphans pour les transports et les travaux des routes. Les Portugais et les Hollandais en prenaient chaque année plusieurs centaines, dont une partie était destinée aux divers services publics, et le reste exporté au profit du trésor. L’administration anglaise ne se livre pas au commerce, et, comme elle a reconnu que pour la plupart des travaux l’emploi des chevaux est plus économique, elle a peu à peu réduit l’effectif de ses éléphans. Il y a cependant encore de temps en temps de grandes chasses organisées dans les forêts voisines de Kandy. Il ne s’agit plus de capturer un ou deux éléphans ; c’est un troupeau, ce sont même quelquefois plusieurs troupeaux qu’il faut enlever du même coup. La chasse prend alors les proportions d’une véritable guerre ; on doit faire à l’avance de nombreux préparatifs, lever une armée d’indigènes, étudier le terrain, choisir et disposer le champ de bataille le plus favorable pour engager le combat, en un mot mettre en pratique les règles d’une savante stratégie. Les anciens rois de Ceylan, à l’exemple des souverains de l’Inde, étaient passionnés pour ces exercices, qui leur fournissaient l’occasion d’étaler le luxe de leur cour, et de se montrer à la tête de plusieurs milliers d’hommes dans les régions les plus reculées de leurs domaines. La chasse a de tout temps été un délassement royal, et quoi de plus beau, de plus imposant que ces ardentes chasses à la recherche d’un tel gibier, et avec le brillant cortège que les princes traînaient à leur suite ? Les solitudes retentissaient au bruit des foules, des milliers de torches illuminaient la huit des forêts, les troupeaux d’éléphans s’enfuyaient éperdus de leurs familières retraites ; la nature de ces lieux sauvages était troublée par cette subite invasion de l’homme et comme éblouie par la présence du souverain qui venait