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En parcourant les chroniques cingalaises jusqu’au XVIe siècle, époque de l’arrivée des Portugais, on voit reparaître successivement, et à intervalles presque réguliers, les événemens qui remplissent l’histoire de toutes les dynasties orientales : guerres intestines, rois détrônés, princes assassinés, perpétuelles révolutions de palais, auxquelles semblent demeurer indifférens et les prêtres, qui sont toujours honorés et enrichis par le parti victorieux, et les populations indigènes, qui, organisées par villages, conservent au milieu de tous ces troubles leur quiétude communale. Parfois, à la suite de quelque grande crise, après une invasion ou une série de règnes misérables, se lève un homme, un grand prince, rejeton oublié d’une vieille dynastie, qui reprend la couronne et la porte avec éclat. Tel fut, vers la fin du XIe siècle, le roi Wijago, dont la gloire fut encore surpassée par celle de son successeur Phrakrama, le plus glorieux et le plus saint monarque qui ait régné sur Ceylan. Le souvenir des grandes œuvres accomplies par ce prince est immortalisé par le poème national. Ce fut l’âge d’or de la religion et de l’agriculture. Non content de construire de nouveaux temples et de multiplier les monastères bouddhiques, Phrakrama étendit sa protection aux cultes étrangers, et il voulut que les brahmes fussent honorés. Il ouvrit des hospices, où lui-même il venait assister les malades et enseigner la médecine. Il agrandit sa capitale, Pollanarrua, qui devint la plus belle cité de l’Orient. Son vaste palais contenait plusieurs milliers d’appartemens, et partout de splendides travaux d’art attestaient sa richesse et sa magnificence. Quant aux travaux agricoles, ils surpassaient tout ce qu’on avait vu jusqu’alors. Plus de deux-mille lacs et autant de canaux creusés sous ce règne sont énumérés dans le Mahawanso, et la tradition confirme ce poétique témoignage. La sécurité du pays était telle que, suivant une inscription qu’a longtemps conservée le roc de Damboul, une femme aurait pu traverser l’île d’une extrémité à l’autre avec ses pierreries sans être inquiétée. Ce souverain, si puissant à l’intérieur, n’était pas moins respecté au dehors. Il porta la guerre jusque dans la presqu’île de Siam pour venger son ambassadeur outragé ; il attaqua dans l’Inde les Malabars, et chacune de ses campagnes fut marquée par d’éclatans triomphes.

Voilà le spectacle qu’offrait au XIIe siècle la royauté de Ceylan. Lors même que l’on accuserait d’amplification le poème officiel, où nous retrouvons les comparaisons, les figures de rhétorique et les expressions employées par les historiographes européens dans de semblables récits, il n’en demeure pas moins certain que l’île de Ceylan jouissait à cette époque d’une merveilleuse prospérité, qu’elle nourrissait une population nombreuse, que ses cultures