et le spirituel, comme on dirait aujourd’hui, dominait entièrement le temporel. En moins d’un siècle après les prédications de Mahindo, l’île était couverte de temples gigantesques et de couvens habités par une immense population de prêtres bouddhistes. Les prêtres faisaient vœu de pauvreté : ils vivaient de dons et d’aumônes ; mais les corporations étaient riches, et elles se virent bientôt en possession des plus fertiles terres de Ceylan. Le gouvernement devint ainsi une pure théocratie. Il était d’usage qu’en toute occasion le roi dotât l’église, qui s’enrichissait également par les legs particuliers des fidèles. On donnait aux prêtres d’humbles vêtemens et des pitances de riz, mais en même temps on léguait au couvent de vastes domaines, on lui édifiait de splendides autels, on creusait à son profit des étangs dont les eaux fécondaient le sol concédé. Les annales de Ceylan mentionnent avec le plus grand soin et avec une pieuse monotonie ces largesses faites à l’église : tantôt c’est un roi qui ferme une vallée aux deux extrémités par des digues de pierre et la remplit d’eau pour fertiliser le domaine d’un couvent, tantôt les revenus de toute une province sont affectés à l’érection et à l’entretien d’un temple. Voici un prince qui, dans un accès de sainte ferveur, va cultiver de ses propres mains un champ de riz appartenant aux prêtres ; cet autre couvre le sol d’un tapis sur une longueur de sept milles pour que les pèlerins n’aient pas à fouler la terre aux approches d’un autel consacré à Bouddha ! Sir James Emerson Tennent cite de nombreux et curieux exemples qui attestent l’extravagance de la piété cingalaise ; mais en définitive cette politique eut pour effet d’étendre peu à peu sur toute la surface de l’île les bienfaits de la culture, et elle favorisa les progrès de la civilisation. Les couvens, exempts de taxes, augmentaient sans cesse leurs revenus ; ils jouissaient de l’influence qui partout accompagne la propriété, et il ne paraît pas qu’ils en aient fait, aux anciens temps, un mauvais usage. Grâce aux cultures monastiques, la prospérité matérielle de Ceylan s’est maintenue pendant de longues années, bien que le pays ait été souvent visité par les invasions étrangères ou déchiré par des révolutions intérieures : le commerce était florissant et attirait dans les ports de l’île les Chinois et les Arabes. Aujourd’hui encore, malgré la conquête européenne, malgré la loi anglaise qui a aboli le servage de la glèbe, les monastères bouddhistes ont conservé une partie de leurs anciennes richesses territoriales. On estime qu’ils sont demeurés propriétaires d’un tiers du sol cultivé, et si la plupart des étangs qui ont autrefois été creusés pour eux sont aujourd’hui à sec, il ne faut pas oublier que ces travaux ont contribué à produire les champs fertiles dont Ceylan est parée, et que l’Angleterre doit à la ferveur du bouddhisme antique les plus belles provinces de sa colonie.
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