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nous l’adressons aux deux cent vingt poètes magyars du XIXe siècle, en les suppliant humblement de vouloir bien lire une certaine pièce de Petoefi Sandor intitulée l’Élégie de la Lune.

Il y a pourtant de bonnes inspirations dans l’anthologie publiée par M. Kertbény. M. Charles Sasz, M. Michel Tompa, M. Charles Berecz, M. Paul Giulay, quelques autres encore dont le nom pourra grandir, ont exprimé plus d’une fois sous une forme énergique les sentimens nationaux. Je citerai surtout une pièce de M. Charles Sasz intitulée Musique hongroise. Lorsque l’écrivain est forcé de se taire ou de ne manifester qu’à demi sa pensée, un art plus libre en son divin langage, la musique, révèle tout ce qui agite les âmes. Que de pleurs, que de sanglots dans le violon de ce bohémien qui passe ! Il joue une vieille marche guerrière ; aussitôt tous les cœurs ont frémi, tous les yeux sont pleine de larmes.


« Entendez-vous comme le violon retentit, comme il pleure, comme il soupire ? Se peut-il qu’en ces quatre petites cordes habite une âme si désolée ?

« On dirait, auprès de la sombre pierre d’un tombeau, des orphelins pleurant leur mère ; on dirait les chants que le rossignol exhale la nuit sous la feuillée.

« Entends-tu les accens du violon ? entends-tu ses soupirs ?… Maintenant voilà les sons qui s’élèvent et mugissent. C’est la Marche de Rákóczy, l’entendez-vous retentir ?

« Dans la bataille où sifflent les balles ? Entendez-vous les sabres qui frappent les sabres ? Voyez-vous les hardis Magyars, comme ils se battent pour leur liberté ?

« Y a-t-il du sang dans cette chanson, pour qu’elle brûle ainsi nos cœurs ? Est-ce parce qu’elle nous frappe si douloureusement que nos fronts se plissent tout à coup ?

« Est-ce la douleur, est-ce la colère qui nous arrache des pleurs des yeux ? Sous le feu de ces mélodies brûlantes, nos vieilles blessures ne vont-elles pas se rouvrir ?

« Chaque fois que retentit cet air, une flamme soudaine parcourt les rangs de la foule. Secoués jusqu’au fond de notre être, transportés d’enthousiasme et de fureur, nous nous sentons attendris jusqu’au fond de l’âme et animés d’une force invincible.

« A présent, écoutez le violon quand il parle aux enfans du peuple. De ses accens doux et plaintifs s’épanchent la joie et la tristesse.

« On dirait le chant du pâtre quand il garde son troupeau de poulains, ou bien lorsque dans la danse capricieuse il embrasse la brune jeune fille.

« Puis soudain éclatent sur l’instrument les souffrances de trois siècles ; les cordes gémissent, gémissent… Un peu plus, elles vont se rompre.

« Entendez-vous comme le violon retentit, comme les cordes soupirent et tremblent ?… Se peut-il qu’en ces quatre petites cordes habite une âme si désolée ? »