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pour la châtelaine et surtout pour leur pays, son beau-frère, qui a le commandement de la place, tant de braves gens qui sont heureux de venir en aide au vaillant Rákóczy, que vont-ils dire ? Pour livrer la ville, il faut qu’ils y consentent. Maria les invite à un festin, et tandis que les convives chantent et s’enivrent, l’ennemi escalade les murailles. Est-ce là une belle histoire à rappeler aux Magyars ? Je sais bien que vingt ans après Vésélényi devint à son tour le chef d’une insurrection nationale contre l’Autriche, que Maria Szecsi expia sa trahison par les douleurs de sa captivité et le courage de sa mort. M. Arany ne voit rien à condamner dans la trahison de Maria ; ce qui le charme, ce qui excite sa verve, c’est ce roman improvisé en pleine guerre, cette histoire d’amour au milieu de la canonnade. Quelles que soient les franchises de l’art, il faut qu’un poète hongrois soit bien désintéressé pour traiter cavalièrement un tel sujet, et ce désintéressement convient peu aux poètes qui s’adressent à la Hongrie moderne. Petoefi, je ne l’ignore pas, a célébré la même aventure ; mais il l’a fait dans un récit rapide, dans quelques strophes lestement enlevées : pure fantaisie d’artiste, on le voit bien, qui ne tire pas à conséquence. Chez M. Arany, c’est tout un poème. L’auteur de Toldi est digne d’entendre les avertissemens et les conseils. Il est jeune encore, il a des qualités rares, une imagination souple, un vif sentiment du style ; quand il se préoccupera davantage des nécessités du temps où il vit, il justifiera complètement les éloges qui ont accueilli ses débuts.

J’oserai tenir le même langage à M. Koloman Lisznyai, chanteur facile et brillant qui ne parait pas se faire une idée assez haute des devoirs de la poésie. M. Lisznyai a mené cependant une vie assez active pour connaître exactement son époque, il a été mêlé à d’assez grands événemens pour apprécier l’efficacité d’une parole virile. Agé de vingt-cinq ans en 1848, il fut au nombre des dix députés que la ville de Pesth envoya à la diète de Transylvanie pour y représenter l’union des deux contrées. Quelques mois après, il s’engageait comme simple hussard, en même temps que son ami Petoefi. Il combattit sous Bem et sous Görgey, assista aux batailles de Kapolna, de Keszthély, et fut nommé par le gouvernement « historiographe de l’armée nationale. » Ces souvenirs n’auraient-ils pas dû inspirer à M. Lisznyai des accens plus élevés ? Il a écrit des chansons printanières, il a composé des pièces naïves dans le dialecte des Palocz[1], il a dessiné maints tableaux de la vie des champs et des villages ; on voudrait que ce talent facile se consacrât à des pensées plus fortes. Un sentiment énergique, une conviction soutenue manquent à ces pages mélodieuses. Rien qui rappelle l’époque où ces vers ont é

  1. Une peuplade hongroise du comitat de Néograd.