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trente chevaliers et Konth, le héros au cœur de fer.

« Sur la lugubre place du supplice, pas un gémissement ne se fait entendre, pas une plainte ne retentit ; seulement des lèvres irritées du peuple s’échappe un murmure de révolte.

« Écoute, roi Sigismond, roi despote ! » et le tyran, tout pâle, a senti le froid de l’épouvante, « le jugement que tu as rendu est contraire au droit. Désormais te voilà prisonnier dans ton empire. »


Ces pages ont été écrites il y a une quinzaine d’années ; elles retracent un événement qui a dû se passer au commencement du XVe siècle : ne dirait-on pas cependant une allusion aux plus douloureux épisodes de l’histoire contemporaine ? La réprobation unanime qu’a soulevée d’un bout de l’Europe à l’autre le supplice du comte Bathiany n’a-t-elle point un étroit rapport avec ces murmures des âmes révoltées ? Telle est, hélas ! la destinée de cette malheureuse Hongrie ; en chantant les tragiques histoires du passé, les poètes semblent raconter à la patrie ses infortunes récentes. Certes la chanson du hardi Konth d’Hedervar devait faire tressaillir les Hongrois du XVe siècle, et il y avait plaisir à l’entendre quand les jongleurs, en s’accompagnant de la bocza, l’entonnaient dans la salle des repas à la cour de Mathias Corvin ; la Hongrie du roi Sigismond était réhabilitée alors par la Hongrie du roi Mathias, les prédictions du peuple s’étaient accomplies, l’empereur d’Allemagne ne dominait plus sur la terre d’Arpad, et les Magyars, redevenus libres, avaient un chef puissant, vénéré, qui était entré vainqueur dans la capitale des Habsbourg. On aime à croire que ce chant épique de Konth et de ses trente compagnons fut chanté devant Mathias Corvin pendant qu’il régnait à Vienne dans le palais de Sigismond. Le vaillant roi devait sourire avec orgueil en comparant la Hongrie telle qu’il l’avait faite avec celle qu’avait illustrée si tragiquement le héros d’Hedervar.

Un autre chant très célèbre de Jean Garay, un autre poème qui arrache des larmes aux Hongrois, c’est Hélène Zrinyi. Parmi tant d’héroïques familles qui ont illustré l’aristocratie magyare, la famille des Zrinyi occupe certainement la première place. Les chroniqueurs affirment qu’elle se rattache au sang même du roi Arpad, et qu’elle joua toujours un noble rôle pendant les luttes du moyen âge. Au XVIe siècle surtout, et dans la période qui vint après, ce tronc vénérable poussa tout à coup des rameaux d’une étonnante vigueur. Soldats ou généraux, poètes ou négociateurs, champions de l’Europe chrétienne contre le fanatisme musulman ou défenseurs de l’indépendance hongroise contre la tyrannie autrichienne, les Zrinyi ont montré leur dévouement sur tous les champs de bataille. Et malgré