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de l’université fut fixé à quatre milles de Monticello. Jefferson put ainsi se donner habituellement le plaisir de se rendre à cheval sur les lieux où devait s’élever le bâtiment, de se livrer à sa passion pour l’architecture, de surveiller lui-même les ouvriers, de les aiguillonner, de montrer les travaux aux étrangers que son renom attirait dans la contrée. Les heures qu’il passait au milieu des fondemens de sa chère université étaient les meilleures de sa vie, malgré les railleries et les colères qu’attiraient sur lui la bizarrerie des constructions, l’excès des dépenses, le choix présumé des professeurs, tous étrangers, disait le clergé, tous irréligieux, tous indignes de la confiance de parens chrétiens. Il s’entendait appeler visionnaire, prodigue, athée ; il laissait dire, manœuvrait avec d’autant plus d’art au milieu des écueils, et dosait prudemment ses appels à la bourse publique. Le 1er avril 1825, l’université s’ouvrit : tous les obstacles semblaient surmontés, tous les cœurs étaient contens ; étudians et professeurs portaient avec une égale joie leurs yeux sur l’avenir ; tout semblait devoir être facile dans leurs rapports et agréable dans leur vie. Jefferson était radieux : enfin il allait pouvoir essayer l’application de la politique républicaine et démocratique à l’éducation : enfin il allait prouver que la jeunesse, comme le peuple, n’est jamais mieux gouvernée que lorsqu’on lui confie le gouvernement d’elle-même. D’amers déboires l’attendaient. Malgré de fréquens appels à la raison et au patriotisme des étudians, ils ne restèrent pas toujours vertueux ; le jugement par jury, appliqué aux délits universitaires, ne produisit que des acquittemens. Le désordre devint habituel ; la révolte éclata, violente, brutale. Profondément mortifié, Jefferson se rendit sur les lieux avec les inspecteurs universitaires. Madison l’accompagnait. Ils parlèrent tous deux sévèrement aux mutins, et sommèrent les meneurs de se livrer. Deux ou trois sortirent des rangs, l’air confus ;, parmi eux, le propre neveu de Jefferson. Le ferme vieillard ne put contenir son indignation, de véhémentes paroles tombèrent de ses lèvres ; le coupable fut immédiatement chassé. Voir son œuvre compromise, ses doctrines renversées, ses espérances détruites par la conduite de l’un des siens, c’était un des coups les plus douloureux qu’il pût recevoir à une, époque où les épreuves ne lui étaient pourtant pas épargnées.

Le dérangement de ses affaires l’avait placé dès 1814, dans la dure nécessité d’entrer en négociation avec le congrès pour la vente de sa bibliothèque, et de la céder à vil prix après d’offensans débats, dans la chambre des représentans, sur la moralité et la valeur des livres réunis à Monticello. Malgré ce pénible sacrifice, ses dettes n’avaient cessé de s’accroître. De mauvaises années, des crises agricoles et commerciales, jointes à ce qu’il appelait modestement lui-