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a été aveugle ou hésitante, qu’elles se seront accomplies inopinément. Ces deux révolutions sont l’union de l’Italie en une seule monarchie et la fin du pouvoir temporel de la papauté. Ces deux révolutions ont été pendant des siècles considérées comme des utopies. Si près qu’elles soient d’être réalisées, il est pourtant possible encore qu’elles ne sortent point de la région des utopies. Qu’on nous pardonne si, dans l’impuissance où nous sommes d’influer sur les événemens, nous nous réfugions dans la rêverie et nous contemplons un instant ces deux chimères qui sont à la fois si près et si loin de nous : l’Italie une, la papauté dépouillée du pouvoir temporel !

L’unité de l’Italie, se figure-t-on bien ce que c’est ? A-t-on l’idée de cette improvisation dans l’Europe actuelle, et au cœur de la mer souveraine de la civilisation et de la politique, d’un état qui comptera bientôt trente millions d’hommes ? Cet état à sa naissance possédera, outre les plus abondantes richesses de la nature, les ressources et les instrumens de la civilisation la plus raffinée. Ses peuples auront accompli une révolution nationale en fortifiant en eux du même coup l’esprit monarchique et l’esprit de conservation sociale. Il arrivera à la vie politique sans être encombré d’une plèbe démagogique. Sa révolution aura été surtout conduite par ses classes aristocratiques, et elle laissera pour récompense à ces classes la popularité. Les lumières qui naissent du génie naturel et de la culture de l’esprit seront plus abondantes peut-être chez ce peuple que dans aucune autre nation. À comparer individus à individus, il y a relativement en Italie, à l’heure qu’il est, plus d’hommes éminens et supérieurs qu’en aucun autre pays de l’Europe. Il y a trente ans, un homme d’un esprit infini, Henri Heine, disait que les Italiens mettaient toute leur politique dans la musique, et que leur plus grand homme d’état était le maestro Rossini. Aujourd’hui, avec les aptitudes prononcées pour la politique qui sont inhérentes à leur race, eux qui envoyaient autrefois leurs hommes d’état à l’étranger, en Allemagne, en Espagne, en France, pour y être de grands ministres ou de grands empereurs, ils ont un Cavour, et peuvent le garder pour eux-mêmes. À toutes les attractions qui appellent chez eux les étrangers, ils vont ajouter une attraction suprême : la vie politique dans la liberté. Ils veulent avoir Rome pour capitale, et quand dans cette Rome ils auront placé le foyer de la vie littéraire, le centre de la vie politique, le parlement, c’est-à-dire le gouvernement par l’éloquence, quelle capitale en Europe pourra lui disputer la suprématie ? Ils ont ou ils auront Gênes et Venise : quel éclat ne pourront-ils pas rendre à ces vieilles métropoles commerçantes ? Avec les souvenirs de ces républiques marchandes, avec les armées et les escadres d’un grand royaume, ne pressent-on pas la part qu’ils prendront dans la question d’Orient ? Et que diront ceux qui convoitent l’héritage des Turcs, lorsqu’ils verront se présenter ce candidat si redoutable et si peu attendu à la succession de l’empire ottoman ?

Le pape n’est plus souverain temporel ; il n’est plus que le chef de la plus nombreuse des fractions de la famille chrétienne. Où les gouvernemens iront-