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anciens, et, on peut le voir aujourd’hui, les plus profonds et les plus habiles de M. de Cavour, a été d’établir depuis longtemps la législation douanière du Piémont sur les principes de la liberté commerciale. Le Times le rappelait récemment : avant d’être le Palmerston de l’Italie, M. de Cavour en a été le sir Robert Peel. Enfin la création d’une nation et d’une puissance de vingt-quatre millions d’âmes sur une frontière française, sur le flanc de la France, les organes de l’opinion anglaise n’en font pas mystère, est une perspective agréable à nos voisins.

La plupart de ces raisons pour lesquelles les Anglais applaudissent à ce qui se passe en Italie empêchent le gouvernement français de voir avec une égale satisfaction l’agrandissement improvisé du Piémont. La question de l’église catholique sera toujours une des plus grandes préoccupations d’un gouvernement français. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, la chute de la papauté temporelle est vraiment une révolution religieuse, car les rapports de l’église avec l’état, réglés par les concordats en vigueur, en seront inévitablement et profondément altérés. Le gouvernement français avait pris à l’endroit de la conservation du pouvoir temporel les engagemens publics les plus solennels. Enfin l’unité de l’Italie, la formation à notre porte d’un puissant empire consterne et déroute notre diplomatie. Il n’est pas de diplomate français qui ne considère comme une duperie gigantesque pour la France d’avoir produit et accéléré par sa propre initiative un tel résultat. Les idées vraiment libérales sont par malheur trop peu répandues encore dans notre pays pour avoir supplanté jusqu’à ce jour cette vieille routine de notre politique étrangère. L’adhésion passive de notre gouvernement aux entreprises du Piémont était donc impossible.

Le gouvernement français ne pouvait approuver l’invasion des états de l’église. Pouvait-il l’empêcher ? Pouvait-il arrêter l’armée sarde sur les frontières des Marches et de l’Ombrie ? Pouvait-il opposer un veto amical et ferme au dessein annoncé du Piémont ? Pouvait-il prendre l’affaire au compte de la France, obtenir un sursis dans ce périlleux procès, et réserver la question entière et intacte pour la porter ensuite devant la juridiction compétente ? Nous l’avons cru quant à nous, et nous avons exposé sans réticence les motifs de notre opinion. Nos lecteurs savent que nous n’avons jamais été de chauds partisans de l’occupation de Rome par nos troupes : ils présument sans doute que si une discussion théorique s’ouvrait sur les temporalités du pontificat romain, il est peu probable que nous eussions à donner des conclusions favorables au maintien de l’ancien ordre de choses ; ils n’ont pas oublié que nous n’opposons aucune objection absolue à l’unité finale de l’Italie, si cette unité est la volonté mûrie des Italiens et le couronnement régulier de leur émancipation Mais à nos yeux toutes ces questions, demeurant réservées, disparaissaient momentanément devant le fait matériel de l’invasion d’un état dans la capitale duquel nous étions présens par nos soldats et par notre drapeau.

Les Piémontais devaient savoir ! que nos soldats, le mousquet au bras et