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avoir pris Nice et la Savoie comme compensation aux agrandissemens obtenus par le Piémont en dehors et à l’encontre des stipulations de Villafranca, il faudrait donc que la France se résignât à voir l’Autriche se camper à Florence et à Bologne, opérer les armes à la main l’exécution du traité de Zurich, et convoquer un congrès pour prendre l’Europe à témoin de la légitimité de sa défense et de sa modération dans la victoire !

On appelle à Turin, avec une ironie qui ne nous offense point, conseils d’amis les réflexions que nous ont inspirées ces perspectives. Nous n’avons pas eu la fatuité de donner des conseils aux Italiens ; nous pensons pourtant nous être assez montrés, et peut-être quelquefois non sans efficacité, leurs amis pour avoir le droit de leur exposer franchement les perplexités que nous ressentons en les voyant s’abandonner, dans la situation actuelle de l’Europe, à un de ces mouvemens dont la raison et le libre arbitre perdent la direction. Nos sympathies, on le sait de reste, sont depuis longtemps acquises à l’Italie, et nous n’avons d’antipathie pour aucun des hommes qui se sont signalés dans la cause de l’indépendance italienne. Peu d’hommes d’état contemporains nous ont inspiré un goût aussi vif que celui que nous avons éprouvé pour l’esprit net et facile, pour le sang-froid audacieux, habile et malin de M. de Cavour. Nous n’avons pas été froids pour les qualités chevaleresques, sévères pour les étourderies passionnées du général Garibaldi. S’il faut même aller jusqu’au bout de notre pensée, nous avons pu déplorer les excès des idées mazziniennes, sans méconnaître ce qu’il y a de foi et de puissance dans l’ardeur et l’opiniâtreté de M. Mazzini, ce qu’il y a de grand dans la figure de cet indomptable et insaisissable conspirateur. Nous n’avons pas d’objection de principes, pas de préjugé diplomatique contre l’unification de l’Italie. Nous allons plus loin, nous connaissons, et nous en tenons grand compte, les énormes difficultés qui embarrassent ceux que nous tenons pour responsables de la direction actuelle de l’Italie. Nous pouvons le dire avec un douloureux orgueil, nous sommes plus savans en révolutions que les Italiens. Nous avons connu, nous aussi, les époques où l’on fait de l’ordre avec le désordre, nous connaissons celles où l’on fait du désordre avec l’ordre, et l’expérience nous a également appris l’issue des deux systèmes. Nous savons que l’Italie est dans une de ces situations où les esprits les plus sagaces et les plus fermes, submergés par le courant, se croient impuissans à contenir le débordement tumultueux de]la multitude, et jugent inutile tout effort pour redresser l’erreur d’un peuple. Cet inerte fatalisme enveloppé d’un banal enthousiasme nous est connu ; nous savons aussi quelles viles défaillances suivent ces enivremens, avec quelle promptitude les rodomontades enfantent les lâchetés. C’est justement à cause de cela, c’est parce que nous voyons les Italiens livrés à l’un de ces entraînemens où se perd le discernement de la réalité, c’est parce qu’ils nous semblent avoir l’air de croire que nous sommes encore au temps où les murailles de Jéricho tombaient devant une fanfare, c’est parce que personne en Italie ne