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restauration n’était pas encore bien assuré, Bernadotte, possédé de l’idée bizarre qu’il avait en France un grand parti, parlait de laisser le trône de Suède à son fils pour aller s’offrir lui-même aux brillantes destinées que lui promettaient Benjamin Constant et Mme de Staël.

Il aimait d’ailleurs le jeune prince et l’élevait avec soin, non pas de telle sorte cependant que la politique n’intervînt pas d’une manière fâcheuse dans cette éducation. Lorsqu’en 1812 Bernadotte se déclara enfin ouvertement l’allié de nos ennemis, il lui parut peu convenable de laisser le jeune Oscar aux soins d’un instituteur français, et il substitua à l’excellent M. Lemoine un Suédois qui revenait de Russie, où il jouissait de la confiance d’Alexandre. C’est alors que M. Lemoine renvoyé écrivit à sa femme, restée à Paris, une lettre dont la simplicité touchante fait honneur à l’élève et au maître. «… On veut isoler le prince et le séquestrer ; comment se fera-t-il à ce changement ? Il est toujours tel que tu l’as vu aux Tuileries, courant après toi… Cher enfant ! je l’avais élevé avec mon cœur ; j’avais réussi. Il va passer en d’autres mains ; puisse-t-il y être heureux ! Son bonheur me dédommagera de tout le reste… » L’humble détail de ces lignes ne sera pas hors de propos dans cette étude, s’il fait dès maintenant connaître le caractère d’honnêteté modeste et grave dont le roi Oscar reçut dès l’enfance la première empreinte, et auquel il resta pendant toute sa vie, comme prince et comme roi, également fidèle.

Pendant le règne de Charles-Jean, de 1818 à 1844, le rôle de prince royal ne fut pas sans difficultés pour Oscar. De même que son père l’avait employé tout enfant comme un utile instrument de ses premiers desseins, de même il parut vouloir se préparer en lui un successeur qui continuât exactement sa politique et ne songeât à s’affranchir ni de ses exemples ni de son influence. On se souvient encore à Stockholm de la visite que dut faire le prince au commencement de 1830 à la cour de Russie, et des alarmes qu’inspira aussitôt à l’esprit public la perspective d’un second règne sous les inspirations du cabinet de Saint-Pétersbourg ; mais la révolution de juillet affranchit le prince royal, et lui permit de s’abandonner à ses tendances libérales. Bien que comprimé et gêné en présence de l’humeur inquiète de son père, il sut dès lors se concilier les sympathies de la nation suédoise et lui ménager des espérances ; on s’accoutuma à pressentir en lui un roi vraiment national, et que ne séduirait pas l’influence de la Russie ; on applaudit à la part qu’il sut prendre, par lui-même ou par ses fils, aux démonstrations de la jeunesse scandinave, en même temps qu’il montrait dans ses rapports avec le roi son père une réserve difficile et pleine de dignité. Il monta sur le