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Ainsi, pourrait-on dire, la plupart des garanties inscrites dans le code n’offriraient aucun point d’appui ; elles refuseraient en quelque sorte le service dès qu’on voudrait en faire usage. La rigueur se dissimulerait sous les apparences de l’humanité ; l’indifférence au sort du citoyen se cacherait derrière les précautions qui semblent prises dans son intérêt. Faire cet emploi de l’arme bienfaisante qui semble donnée pour protéger et pour défendre, c’est, dit Montesquieu, écraser le malheureux qui se noie avec la seule planche qui lui restait dans son naufrage. Il faudrait donc s’abandonner dès lors à la plus triste défiance et se tenir en garde contre chaque disposition qui semble favorable au prévenu, parce qu’elle préparerait sans doute une déception. Il est raconté quelque part qu’un accusé à qui on lisait sa sentence comprit dès les premiers mots qu’il était condamné sans espoir, parce que le préambule de l’arrêt vantait outre mesure la clémence du monarque, et que c’était là l’annonce ordinaire de la condamnation la plus sévère. Si la logique était maîtresse absolue des choses humaines, on ne pourrait s’empêcher d’incliner souvent vers cette douloureuse conviction, quand on s’est familiarisé avec le système de notre législation, tel qu’il peut être aujourd’hui appliqué toutes les fois que la liberté individuelle est en cause.

Une longue et honorable habitude d’humanité, une répugnance ordinaire contre l’injustice et la violence, servent, il est vrai, à détourner les inquiétudes des citoyens ; mais quand la loi laisse une arme aussi dangereuse à la portée de ceux qui peuvent être intéressés à s’en servir, on ne peut s’imaginer qu’à moins de changer la nature humaine, il n’en sera fait aucun usage, et quand même on n’entendrait l’employer qu’à menacer sans intention de nuire, il faut convenir que la menace est incompatible avec un régime de sécurité. Craindre, disait Bentham, c’est déjà commencer à souffrir.


II

La France est ainsi en arrière des nations auxquelles elle aime à opposer la supériorité quelquefois imaginaire de ses lois. Si elle veut être fidèle à la vieille maxime de la philosophie païenne, dont la morale évangélique a fait un devoir : « Connais-toi toi-même, » elle n’a qu’à chercher au dehors des exemples pour mettre chez elle en honneur les garanties tutélaires de la liberté privée, auxquelles le code d’instruction criminelle ne donne qu’une place trop restreinte.

L’exposé sommaire de la législation anglaise, telle qu’elle est pratiquée presque sans interruption, au moins depuis deux siècles, peut sûrement servir à faire reconnaître quelles sont les conditions requises