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contreviendrait à la loi, tandis qu’il courrait un péril extrême, si le juge pouvait impunément manquer à la loi. En effet, quelque conscience et quelque honneur qu’il ait, il lui serait difficile de tenir la balance si ferme et si droite qu’il ne la laissât pencher du côté où le cœur incline, si, par la crainte de quelque peine, on ne soutenait ses sentimens d’honneur et de justice contre les atteintes de la brigue et des passions. » Cette salutaire défiance, inscrite dans l’ordonnancé de 1667, honore le jurisconsulte si soucieux de faire protéger contre toute injustice les droits des justiciables, et témoigne que la législation du XVIIe siècle peut avoir en quelques points l’avantage sur celle du code.

Il est triste d’avoir à rapprocher de ces traditions certains arrêts de jurisprudence qui, appliquant la loi, déclarent que les juges ne peuvent être pris à partie pour avoir commis, dans l’exercice de leurs attributions, une faute même grossière, quelque préjudiciable qu’elle soit, mais sans dol ni fraude prouvées. Voici un citoyen retenu en prison nonobstant son appel dont le juge ne s’était pas informé ; le tribunal de Caen, saisi de sa plainte, est obligé de déclarer que le juge ne doit être mis en cause qu’en étant pris à partie, et la prise à partie ne peut être recevable, parce qu’elle ne peut s’étendre à la négligence pas plus qu’à l’ignorance de la loi. L’article du code Napoléon qui reconnaît que tout fait d’où il « résulte un dommage pour autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » cesse ainsi d’avoir son application.

Quant aux fonctionnaires administratifs qui sont chargés de la police judiciaire et qui ont dès lors qualité légale pour ordonner l’arrestation ou la détention, tels que les maires, les commissaires de police, la législation, affermie par une jurisprudence libérale, a eu le mérite de ne pas déroger aux principales règles du droit commun. L’autorisation du conseil d’état, telle qu’elle est exigée par la constitution de l’an vin pour tout fonctionnaire, ne peut être invoquée en leur faveur : ils ne sont protégés ni contre la poursuite publique tendant à l’application de la peine, et qui est réglée suivant certaines dispositions spéciales, ni contre la plainte privée tendant à obtenir contre eux des dommages-intérêts, et qui doit être jugée par les tribunaux civils. C’est là une garantie salutaire qui permet de réprimer, sans aucun obstacle, de fréquens abus de pouvoir. Néanmoins, à l’égard des autres fonctionnaires, quels qu’ils soient, quand même dans l’exercice de leurs fonctions ils auraient disposé arbitrairement de la liberté d’un citoyen, le droit commun cesse d’avoir son empire. Ainsi notamment les préfets des départemens et le préfet de police, qui sont chargés de livrer aux tribunaux les auteurs de crimes ou délits, et de requérir au besoin l’intervention