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préventive puisse être transformée sans jugement en détention définitive, en souffrant que le prévenu puisse être indéfiniment détenu.

Heureusement la modération de ceux qui appliquent la loi a tempéré le plus ordinairement le mauvais usage qui pourrait en être fait. Les dernières statistiques constataient que sur 25,000 détenus renvoyés des poursuites ou acquittés, 18,100 n’avaient pas été détenus au-delà d’un mois, 4,000 au-delà de deux mois, 2,600 au-delà de six mois ; pour 300 seulement, la détention préventive avait eu une plus longue durée, mais cette prolongation suffit pour témoigner que notre législation se prêterait facilement aux abus les plus dangereux. « Il n’appartient qu’aux lois, disait Beccaria, de fixer l’espace de temps que l’on doit employer à la recherche des preuves du crime. Si le juge avait ce droit, il serait législateur. » Le juge est donc législateur en France ; le système si souvent allégué de la séparation des pouvoirs est une règle qui se prête avec élasticité à plus d’une exception.

Le système du code est en quelque sorte couronné par l’interdiction du recours du prévenu contre tout acte d’instruction. Si le ministère public, si la partie civile elle-même ont à se plaindre du juge d’instruction, ils peuvent saisir la cour impériale, et la chambre des mises en accusation annulera, s’il y a lieu, les décisions et les ordonnances du juge nuisibles à la répression ; mais le prévenu ne pourra user de ce droit d’appel que dans deux cas rigoureusement déterminés, s’il allègue l’incompétence du juge, ou s’il réclame contre le refus du juge la liberté sous caution. Autrement il n’est autorisé qu’à transmettre sa plainte officieuse au procureur-général, sous la surveillance duquel les juges d’instruction exercent leurs fonctions. Notre ancienne législation se gardait de mettre ainsi le prévenu hors du droit commun ; les ordonnances de 1539 et de 1670 lui permettaient de faire appel de tout acte d’instruction qui lui serait préjudiciable. Le chancelier Poyet et Pussort, qui ont laissé une renommée de rigueur, n’avaient pas, comme le législateur du code, abandonné le prévenu à la merci du juge ; c’est le code qui l’a désarmé d’un moyen permanent de défense contre l’erreur, la négligence, le mauvais vouloir ou l’abus d’autorité.

Il reste maintenant à savoir si le choix de ceux auquels la loi attribue un droit aussi étendu sur la liberté des citoyens doit rendre aux intéressés quelque confiance. La compétence du juge d’instruction, habitué aux traditions de la justice, inamovible comme juge, sinon comme juge d’instruction[1], dès lors protégé contre le soupç

  1. L’inamovibilité assurée aux fonctions de juge ne. s’étend pas en effet aux fonctions de juge d’instruction, qui sont mieux rémunérées que celles de juge ordinaire, et qui dépendent chaque année du choix du gouvernement.