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tel que le législateur l’a établi, n’est ainsi qu’une privation de la liberté tout à fait temporaire.

Le mandat d’arrêt n’a pas le caractère provisoire du mandat d’amener ; il met le prévenu en état de détention et peut l’y retenir jusqu’au jour du jugement, à moins que le prévenu ne soit déchargé de la poursuite pendant l’instruction. Néanmoins le mandat d’arrêt n’est pas laissé à la pleine discrétion du juge d’instruction ; il doit-être précédé non-seulement de l’interrogatoire des prévenus, mais encore des conclusions du ministère public, appelé à en prendre connaissance. En outre, il doit rigoureusement énoncer le fait qui est incriminé et la loi qui le punit. C’étaient là les garanties salutaires qui étaient établies par la constitution de l’an VIII toutes les fois qu’une arrestation était ordonnée, et le code les a conservées.

Mais à côté du mandat d’arrêt, le législateur, soit imprudemment, soit dans un secret dessein, a reconnu un autre mandat, le mandat de dépôt, qui a contre le prévenu la même efficacité, sans être assujetti à l’emploi d’aucune formalité qui l’empêche d’être arbitraire. Mis dans l’origine à la disposition des magistrats du ministère public, lorsqu’ils sont obligés de s’assurer sans retard de la personne d’un prévenu, il n’a pas été restreint par le code d’instruction criminelle à cette destination primitive, et l’on ne doit pas s’étonner s’il en a été promptement détourné. En effet, il permet au juge d’instruction de se contenter d’un ordre sommaire, il le dispense d’avoir recours au procureur impérial, il l’autorise à tenir le prévenu dans l’ignorance du fait qui lui est imputé et de la loi qui lui est applicable. La préférence du juge ne pouvait donc manquer d’être assurée à ce mandat, qui le dégage complaisamment de tout embarras et lui laisse pleins pouvoirs. Dès lors, dans la pratique de la plupart des tribunaux, le mandat de dépôt a été substitué au mandat d’arrêt, et l’emploi de ce mandat discrétionnaire enlève au prévenu le bénéfice des garanties qui semblaient empêcher le juge d’instruction d’être maître absolu de son sort. La protection du législateur lui fait également défaut, s’il s’agit du temps pendant lequel il peut être détenu. Sa détention préventive peut être prolongée sans qu’aucun terme légal y, soit fixé, et dépasser facilement la durée même de l’emprisonnement auquel il serait condamné. En effet, le juge est libre de conduire à son gré l’instruction. En outre, lorsque l’instruction est terminée, si le prévenu est renvoyé devant la cour d’assises, le procureur-général peut à loisir rédiger l’acte d’accusation, et, à la veille du jugement, le président des assises a le droit de renvoyer l’accusé à une autre session, où le jugement pourra encore être remis à la session prochaine, sans que cette série d’ajournemens successifs soit limitée. La loi permet donc que la détention