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pointe de Beuzeval, dans laquelle les lecteurs de la Revue reconnaîtront peut-être le point de départ d’une course qui les a conduits jusqu’à Barfleur[1]. Ne quittons pas cet abrupt sommet sans nous arrêter un instant au spectacle qu’offrent la terre et la mer. Refoulée par des éboulemens dès longtemps gazonnés et pourtant précurseurs sinistres d’autres dislocations de la côte, la Dives serpente à 112 mètres au-dessous de nos pieds. Des monticules ombragés, qui ne sont autre chose que d’anciennes dunes, sont maintenant séparés de la mer par un large tapis de verdure, et d’autres dunes grandissent sur le rivage. Les gras pâturages de la vallée d’Auge, parsemés de massifs d’arbres touffus, s’enfoncent à perte de vue vers le sud. Là ruminent, dans l’épaisseur des herbes, ces troupeaux charnus qui n’ont point d’égaux dans le monde, et près d’eux bondissent les chevaux de bataille de nos cuirassiers. Soit que l’œil suive à l’ouest les collines boisées de Bavant et de Gonneville, soit qu’il côtoie la zone sablonneuse des dunes, il voit bientôt luire en arrière de Merville les eaux de l’embouchure de l’Orne, et distingue clairement le tracé suivant lequel la Dives ira un jour s’y réunir, au grand avantage de la navigation. Au nord, la mer est sans limites ; mais à droite, dans un lointain tantôt à demi voilé par une brume légère, tantôt éclatant au soleil, les falaises de La Hève commandent Le Havre et l’embouchure de la Seine. Des centaines de bateaux de pêche égaient ces eaux de leurs manœuvres capricieuses, et à l’horizon de lourds et rapides pyroscaphes travaillent, sous le sillage de leur fumée, à effacer les distances et à nous donner des amis sur les plages les plus reculées du globe.

IV. — La défense du Havre.

Le foyer de ce bel ensemble, Le Havre, a toujours été la partie de notre établissement maritime la plus exposée aux attaques de nos ennemis. Ce malheur est le revers des conditions qui font sa fortune ; les avantages pacifiques d’une position avancée ont pour conséquences militaires d’inévitables inconvéniens ; mais cela n’a point empêché Le Havre de prospérer : l’aiguillon du péril a presque toujours été parmi nous une excitation salutaire.

Il serait sans utilité pratique de revenir en ce moment sur la partie de l’histoire militaire du Havre qui se rapporte au temps où nous n’avions pas d’autre port de guerre sur l’Océan. Telle était la destination que lui avait donnée François Ier et qu’il conserva jusqu’à Louis XIV : ce n’est même qu’en 1763, après la guerre de sept

  1. Voyez la livraison du 15 avril 1854.