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pour l’élévation de ses idées et la constance de son âme, est qualifié d’esprit frivole. Maurice Arndt, le vétéran de la poésie nationale, est un personnage à peu près nul qui ne doit sa renommée qu’aux circonstances. Edgar Quinet est traité d’écrivain venimeux, parce que, dans ses belles pages sur la littérature allemande, il a marqué en traits profonds l’impassibilité olympienne de Gœthe !

Une infatuation sans bornes, une vanité insatiable, voilà ce qui éclate à tout instant sous la fausse bonhomie de cette correspondance intime. Humboldt avait réussi même à souffler ses rancunes à Varnhagen ; il semble qu’il prît plaisir à irriter les blessures du diplomate disgracié. Comment ne pense-t-on pas, lui disait-il sans cesse, à utiliser un homme tel que vous ? Cruelle flatterie qui faisait saigner la plaie toujours ouverte. Il s’amusait parfois à lui signaler des ennemis qui ne se croyaient pas si terribles. Dans une de ses lettres à Varnhagen, en date du 10 juillet 1854, je trouve des paroles singulièrement énigmatiques dont je crois avoir pénétré le sens. Après quelques invectives contre la lâche méchanceté du parti que représente à Berlin la Gazette de la Croix, Humboldt ajoute : « Je me suis également tenu sur une constante réserve vis-à-vis de la Revue des Deux Mondes, qui est rédigée avec esprit et perfidie. Parce que l’on hait simultanément deux choses, cela ne fait pas qu’on les haïsse pour les mêmes motifs… » Nous nous sommes empressé de consulter les livraisons de la Revue qui ont précédé cette explosion de colère ; qu’avons-nous trouvé ? Un article sur la vie et les écrits de Varnhagen d’Ense, article très bienveillant, très sympathique, mais qui ne plaçait pas Varnhagen au rang de Gœthe et de Schiller. C’était à la veille de la guerre de Crimée ; l’auteur de l’article, après avoir félicité Varnhagen de ses curieux tableaux de la société allemande sous la révolution et l’empire, l’engageait à ne pas multiplier ses peintures de 1813, à ne pas réveiller les haines d’une époque disparue, à réunir plutôt l’Allemagne et la France contre l’ennemi commun, c’est-à-dire contre la Russie, qui, gouvernée alors par un chef ambitieux, menaçait en Orient la liberté de l’Europe. Ce simple conseil, si naturel à cette date, efface à ses yeux tous les éloges qu’on vient de prodiguer à son ami. Ces pages, trop bienveillantes peut-être, sont une œuvre perfide ; il l’affirme, il s’efforce de le croire et de le persuader à Varnhagen. Pauvre esprit supérieur, si grand dans le domaine de la science, si petit dans ce déshabillé de la vie intime indiscrètement dévoilée à nos regards !

Ce qui est assez remarquable, c’est que la raillerie de Humboldt est prétentieuse et pesante ; rien de plus entortillé que ses sarcasmes. Comment reconnaître ici l’homme qui a écrit le second volume du Cosmos ? Comment retrouver dans ces vulgaires épigrammes si péniblement