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venait leur ouvrir les horizons splendides que tous appelaient de leurs vœux. J’avais, dans ce rôle, l’immense avantage d’être cru sur parole, car ma loyauté ressortait de la déclaration même que j’avais faite en commençant. Je m’adressais d’ailleurs à des hommes préoccupés du lendemain, qui voyaient là une solution politique inattendue. Ce côté politique de la question, cet appel indirect aux sympathies européennes fut la raison déterminante des entraînemens que l’idée du canal provoqua. Il explique la fameuse déclaration qui porte, comme le canal, la date patriotique du {{1er mai, anniversaire de la capitulation de Rivas. Cette déclaration était contenue implicitement dans la proclamation du général Martinez., C’était le cri désespéré d’un peuple aux abois, qui n’avait plus de ménagemens à garder vis-à-vis de ses impitoyables oppresseurs, et qui espérait encore se faire entendre de l’Europe imprévoyante et égoïste.

Le lundi 26 avril commença, en présence des deux présidens, la discussion des articles. J’avais déclaré d’avance que, n’étant pas le juge des relations réciproques des deux états, je me soumettais à toutes les modifications de détail que les deux gouvernemens croiraient devoir introduire dans le traité, pourvu que les principes généraux fussent sauvegardés. La lutte de générosité qui s’établit entre le général Martinez et M. Mora coupa court à ces modifications. Le débat fut sérieux, il aborda toutes les questions spéciales ; il me permit de développer toutes les conséquences économiques que j’entrevoyais, mais il se maintint jusqu’au bout dans une sphère élevée où les rivalités locales et les intérêts privés disparaissaient devant l’urgence du salut public. Je n’ai jamais assisté à un spectacle plus consolant que celui de ces deux hommes faisant assaut de sacrifices et de désintéressement pour fonder enfin quelque chose de durable. La solennité des circonstances fortifiait toutes les âmes. Je désire, pour le bonheur de l’humanité, que la diplomatie rencontre souvent de pareilles aspirations. Je fus, quant à moi, profondément touché de tout ce que je vis et de tout ce que j’entendis dans les six jours que durèrent les conférences, et lorsque le général Martinez prit enfin la plume pour apposer sa signature au bas du traitée j’éprouvai une de ces joies profondes qui font date dans une vie. C’était le dernier acte et le couronnement d’une semaine bien remplie, qui avait vu s’aplanir toutes les difficultés pendantes, qui avait réglé honorablement tous les points en litige, qui avait commencé la reconstitution centro-américaine par l’alliance intime de deux états divisés depuis trente ans, et qui laissait après elle un courant d’opinion désormais assez fort pour faire avorter toutes les tentatives américaines et toutes les violences du général Lamar.

Telle est l’histoire de cette convention de Rivas, qui a été si légè