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conde commencée le 26 avril et terminée le {{1er mai, qui a été pour le Nicaragua, à quelque point de vue qu’on se place, le début d’une ère nouvelle, le signal des mesures récentes prises par l’Europe pour garantir sa sécurité[1]. J’avais déjà remarqué, par les attentions qu’il m’avait témoignées en route, que le général Martinez me portait une bienveillance réelle. Il occupait à l’extrémité nord de la ville un vaste bâtiment carré donnant sur une plantation de cacao, de ce beau cacao rouge qui était réservé autrefois pour la table des rois d’Espagne. J’allai lui faire une première visite, accompagné de M. Antonin de Barruel. Il s’agissait de convenir avec lui de la forme et du lieu des conférences. Le président nous reçut dans une petite pièce blanchie à la chaux, plus que modestement meublée. Il avait auprès de lui son ministre de l’intérieur, M. Rosalio Cortès, et le général Bonilla, le seul officier de la république qui eût un costume militaire. Quelques minutes après entra le ministre des affaires étrangères, M. Gregorio Juarès, de sang mêlé, comme son collègue de l’intérieur, qui était appelé à contre-signer le traité futur ; puis le général Jérès et le colonel Negretti, de telle sorte que le gouvernement tout entier du Nicaragua se trouvait rassemblé.

Je débutai par une déclaration franche et catégorique pareille à celle que j’avais faite à San-José. Je ne voulais laisser planer aucun doute sur ma situation, ni usurper surtout aucun honneur officiel. Je n’étais ni ministre, ni consul, ni agent à aucun titre de la France. J’expliquai ensuite le but de mon intervention dans les affaires du pays. Je venais réaliser le projet national par excellence, celui qui fermentait dans toutes les têtes intelligentes depuis la proclamation de l’indépendance, celui que toutes les cartes signalaient comme une nécessité de l’avenir. J’avais les pleins pouvoirs d’une maison de banque, l’appui moral des économistes, le concours de l’opinion du monde éclairé. Je développai les principes de libéralisme sur lesquels reposait le traité que j’avais préparé, et pour la discussion en détail des articles de ce traité, je me mis à la disposition entière du président, le laissant libre de décider si cette discussion aurait lieu avec lui seul ou en présence de M. Mora et de son ministre.

Pendant que je parlais, j’avais pu remarquer sur la figure impassible du général Martinez les premiers signes d’une attention sympathique. Quant à M. Gregorio Juarès, arrivé la veille en toute hâte, il ne déguisait pas la satisfaction qu’il éprouvait. C’était la première fois, depuis bien des années, qu’une parole amie, partie de l’Europe,

  1. Trois traités de protection ont été signés depuis par la France, l’Angleterre et la Sardaigne.