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et à défendre par tous les moyens dont il disposait l’indépendance nationale, qu’ils menaçaient de nouveau. C’était une nature froide, qui ne se livrait pas facilement, mais qui cachait un cœur de lion sous des formes austères. Il venait d’adresser à ses concitoyens, à la date du 10 avril, une proclamation d’un caractère antique, véritable manifeste d’une nouvelle confédération centro-américaine, énergique appel à l’union de tous pour sauver la patrie commune. Les forces entières de sa pensée tendaient à ce but suprême. Il devait donc prêter les mains à tout ce qui élèverait une barrière contre ses éternels ennemis, à tout ce qui favoriserait son rêve d’unité politique, à tout ce qui appellerait sur l’Amérique centrale l’attention et le patronage bienveillant de l’Europe. Or il avait parfaitement compris que le canal renfermait implicitement ces solutions multiples, et donnait de plus à son pays la puissance et la richesse. Je ne pouvais arriver plus à propos. M. Martinez venait à peine de commencer sa période constitutionnelle. Les exigences mêmes des Américains militaient en ma faveur. Ce qui allait se passer à Rivas n’était qu’une question de forme. Le traite était signé d’avance par le patriotisme du nouveau chef de l’état.

Une demi-heure après, nous entrions dans Rivas sans que je m’en fusse aperçu. Je ne voyais que des maisons isolées, séparées par des monticules de ruines, des rues entières disparues, des pans de murs seuls debout sur de vastes espaces. C’était tout ce qui restait de la ville sainte, où tant de sang avait coulé pendant deux années. Des drapeaux blancs et bleus, les couleurs du Nicaragua, décoraient ces débris. Un grand drapeau tricolore était arboré à l’angle d’une place mamelonnée de décombres. Une haie de soldats se tenaient l’arme au bras devant une maison trouée de boulets. On s’arrêta devant cette maison. Le canon tonnait, les clairons sonnaient aux champs ; deux ou trois cents personnes étaient accourues au-devant du cortège, et le saluaient de leurs vivat. Telle fut cette entrée triomphale des deux présidens. Elle devait leur rappeler de terribles souvenirs. L’aspect seul de la maison où nous descendîmes un moment, ancien quartier-général de l’armée nationale, en disait plus que toutes les paroles sur l’acharnement de la lutte qui avait abouti à la capitulation de Walker. Pas un tronçon de muraille qui ne fut criblé de trous de canonnade ou de mousqueterie. Dans la pièce même où fut signé, six jours après, le traité du canal, et qui avait été tour à tour le cabinet de Walker et celui de M. Mora, le mur, fraîchement récrépi, dessinait encore le sillon des boulets, et j’en retrouvai autant au-dessus de mon lit dans la chambre que m’avait préparée la gracieuse hospitalité d’un Nicaraguain, don Juan Ruiz.

J’étais enfin sur le théâtre désiré. Je touchais à cette semaine fé