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les raisons qui peuvent contre-balancer celles-ci… Je serais heureux de vous voir de ce côté de l’Atlantique, mais je ne prendrais pas sur moi la responsabilité de vous y attirer… » Puis il lui racontait une expédition qu’il avait faite (1832) dans les Montagnes-Blanches du New-Hampshire.

Leslie se décida enfin à partir, et voulut même, avant de s’éloigner, — à jamais, croyait-il, — de sa patrie d’adoption, résigner les honneurs qu’il lui devait ; mais sir Martin Shee, président de l’Académie royale, le détourna de renvoyer son diplôme. Le 21 septembre, Leslie, accompagné de toute sa famille, mit à la voile pour New-York, et après quelques semaines passées à Philadelphie au milieu des amis de son enfance, il alla s’établir dans sa nouvelle résidence, située sur les bords de l’Hudson.

Les désappointemens ne s’y firent pas attendre. Le site était magnifique, mais l’installation ne répondait en rien aux exigences d’un Londoner. Pour atelier, le professeur n’avait qu’un entre-sol ; ses cours lui prenaient beaucoup plus de temps qu’il ne l’avait imaginé. Les examens surtout exigeaient sa présence pendant deux et trois semaines consécutives, et absorbaient alors ses journées entières. Le climat de West-Point parut ne pas convenir à la santé de mistress Leslie, dont la santé fut très mauvaise pendant tout l’hiver. Les avantages espérés pour l’éducation de leurs enfans se trouvèrent réduits à des probabilités fort hypothétiques. Bref le découragement s’empara promptement de l’honnête artiste, qui, pour revenir dans son pays, avait sacrifié tant de relations aimables et utiles. Dès le 14 avril 1834, il se remettait en mer sur le même navire qui l’avait amené, et vingt jours plus tard il revoyait avec un tressaillement tout filial les magnifiques aiguilles [needle-rocks) de l’île de Wight. Dans le mois qui suivit son retour, — comme pour fêter les excellens patrons auxquels il se repentait d’avoir été infidèle, — il peignait lord Holland et sa fille, lady Lilford. Il passa tout l’automne de cette même année chez lord Egremont. « Jamais je ne me suis trouvé si bien à Petworth, écrivait-il à son ami Constable ; venez nous rejoindre, on vous attend. Je vous promets une magnifique toile de Wilson que vous ne connaissez pas encore, et une « perle » du Bassan, achetée depuis notre dernière visite à Petworth… Quarante personnes dînent ici aujourd’hui ; le château est aussi plein que possible. Le duc de Richmond est au nombre des convives. Je viens justement de traverser la salle à manger sculptée, où la table plie sous le poids de la vaisselle d’or et d’argent. »

C’est en effet à Petworth, — M. Tom Taylor nous le fait remarquer, — que Leslie put le mieux étudier et peindre les riches accessoires de plusieurs de ses tableaux, les meubles du rococo le plus