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qu’il ne sut pas toujours, comme ces habiles Flamands, éteindre, atténuer, rendre harmonieux.

En somme, Leslie eut les qualités par lesquelles l’art anglais s’est particularisé : il sut donner de l’intérêt à ses compositions, de l’expression à ses personnages, de la vérité à leurs costumes, de l’accent à leur physionomie. Il fut conteur, il fut romancier à sa manière, ou, pour mieux dire, il fut l’interprète intelligent de l’observation telle que la pratiquent les romanciers, les conteurs, les auteurs d’essais satiriques ou de comédies. Gai sans trivialité, gracieux sans afféterie, parfois pathétique sans ombre de sensiblerie et sans viser aux « effets de larmes, » il ne lui eût rien manqué s’il eût possédé les hautes qualités qui remplacent chez un petit nombre de peintres seulement toutes celles que nous venons d’énumérer. En le comparant à Washington Irving, en le classant parmi les peintres anglais au même rang que ce dernier occupe parmi les écrivains de la Grande-Bretagne, M. Tom Taylor nous paraît avoir donné de Robert Leslie, à ceux qui ne peuvent le juger directement et par eux-mêmes, la mesure la plus exacte et l’idée la plus juste.

Dans cette existence si simple, si unie, si honorable, que Leslie s’était créée par un travail assidu, persévérant, consciencieux, il y eut cependant une heure de crise, une aventure, une déception. C’était vers 1833. Le peintre apprit tout à coup qu’il était nommé professeur de dessin à l’école militaire de West-Point (États-Unis d’Amérique). Son frère, le capitaine Leslie, qui, sans le prévenir, avait sollicité et obtenu pour lui cet emploi, ses sœurs, avec lesquelles il n’avait cessé d’entretenir une correspondance très suivie, enfin les nombreux amis qu’il comptait en Amérique, le suppliaient d’accepter. On lui promettait une annuité viagère, beaucoup de loisirs, une installation complète et commode dans un pays parfaitement sain, de grandes facilités pour l’éducation de ses enfans, etc. Il hésitait néanmoins, et l’on voit qu’il consulta ses amis les plus intimes, entré autres lord Egremont et Washington Irving. Le premier lui exprima, en termes très nobles et très touchans, le regret qu’il éprouvait de le voir partir. « Mon âge, lui disait-il, ne me laisse aucun espoir de me retrouver ici quand vous y reviendrez… D’autre part, la situation, que vous acceptez, et qui vous éloigne de la société de la métropole, en plaçant sous votre direction deux ou trois cents turbulens écoliers, ne me semble pas des plus agréables. » Washington Irving, toujours diplomate, ne voulut ni l’engager ni le dissuader. Il lui énumérait les avantages de la position offerte et lui disait simplement[1] : « Vous êtes bien à même de trouver tout seul

  1. Lettre datée de Washington, 20 janvier 1833.