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même, de l’espérance toujours déçue et toujours vivante. Il était lié aussi avec le doux Elia, l’aimable Charles Lamb, un des écrivains chez lesquels la pureté morale a été le plus à l’abri de toute influence délétère[1]. Enfin, montant de degrés en degrés, il allait être bientôt le convive de sir Walter Scott et l’ami de Washington Irving.

Toutefois ses relations avec ce dernier n’existaient point encore, lorsqu’en 1817, de compagnie avec Allston et William Collins, il vint passer quelques semaines à Paris. Le Louvre les y attirait. Ils virent aussi quelques-uns des peintres en renom. Gérard les accueillit très poliment, mais ne leur montra aucune de ses toiles. Les tableaux de Guérin furent ceux qui frappèrent le plus notre jeune voyageur. Or Guérin en était alors à descendre la « pente fatale. » Il venait de terminer cette Didon écoulant Enée dont Gérard disait, par allusion aux tons de porcelaine que le peintre a donnés à ses couleurs : « Si j’entrais là, je casserais tout ! » Quant à David, Leslie lui reprochait de n’être pas naturel, et il ne fut nullement tenté de changer d’avis, lorsqu’ une belle Parisienne, en réponse à cette opinion franchement exprimée, l’eut assuré de la meilleure foi du monde qu’il devait se tromper, David n’ayant jamais rien peint que d’après nature. Les trois amis constatèrent ainsi, non peut-être sans quelque surprise, que Wilkie était de tous les peintres anglais le seul dont le nom fût alors connu en France.

À cette époque, Washington Irving était à Liverpool, se débattant contre les difficultés d’une liquidation commerciale qui, ruinant la maison à laquelle il appartenait, ne lui laissait que sa plume pour toute ressource pécuniaire. Il préparait une nouvelle édition de son Sketch Book et de sa Knickerbocker’s History of New-York ; Allston et Leslie étaient, paraît-il, chargés d’illustrer ces ouvrages de leur jeune compatriote. De là les premières lettres échangées entre Leslie et Washington Irving. Peu à peu, leur amitié se resserrant avec les années, le peintre devint pour l’écrivain apprenti diplomate un porte-paroles très zélé, un ambassadeur très avisé, très prudent, qu’il envoyait volontiers discuter ses intérêts dans le cabinet toujours encombré du grand éditeur Murray. Les

  1. Coleridge, dans son Table-Talk, a inscrit en l’honneur de Charles Lamb quelques lignes que nous savons gré a Leslie de nous avoir rappelées. « Rien, dit-il, n’a pu laisser une souillure sur l’âme innocente de cet être si doux. Son regard tombait sur les hommes dégradés ou les spectacles infâmes comme un rayon de lune sur un tas de fumier, en les éclairant et sans y polluer sa chaste lumière. Toute chose restait ombre pour lui et vaine apparence, sauf les réalités qui parlaient à son cœur. » Les lettres de Charles Lamb et de sa sœur Mary, publiées par T. N. Talfourd, l’auteur d’Ion, justifient pleinement ce magnifique éloge.