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gravés d’après lui, et que j’avais vus derrière les vitres d’un marchand d’estampes à Philadelphie, m’avaient laissé une impression d’effroi que je retrouve encore devant cette image sans pareille (matchless). J’espérais donc tirer grand profit de mes études sous un maître pareil ; mais à l’académie il ne disait presque rien. On ne le voyait guère apparaître qu’une fois par soirée dans la salle de dessin, où il apportait presque toujours un livre. Il prenait place au hasard parmi les élèves, et passait à lire la plus grande partie du temps. Je crois qu’il avait raison. Pour ceux des apprentis peintres en qui se trouvent les facultés qui les rendront plus tard éminens, il suffit de les mettre en face de belles œuvres d’art ; il n’est pas besoin qu’on les leur explique, et ceux qui en ont besoin ne valent pas la peine qu’on se donnerait à les leur faire comprendre. L’art peut s’apprendre, il ne s’enseigne pas. C’est sous la direction sagement négligente de Fuseli que Wilkie, Mulready, Etty, Landseer et Haydon se sont distingués, et il est heureux qu’un enseignement plus rigide ne les ait pas plus fortement assimilés l’un à l’autre, si tant est que pareil résultat eût pu être obtenu. »


Les lettres de Leslie à sa sœur nous donnent le détail des études de toute espèce par lesquelles il développait son intelligence. Un jour il entend à l’Opéra les grands chanteurs du temps : Mme Fodor, il signor Naldi, Braham, etc. ; le lendemain il assiste à une séance des communes, et il critique avec le même sang-froid les acteurs de ces deux théâtres. « Vous figurez-vous, dit-il, ce grand diplomate, ce grand négociateur, qu’on appelle lord Castlereagh, sous les traits d’un flâneur de Bond-street, en pantalon bleu à la cosaque, plissant sur le ventre comme les anciens hauts-de-chausses, avec un habit bleu dont les revers et les poches sont bordés d’une étoffe blanche et noire, et dont le collet est en velours noir ; — petit homme d’ailleurs, qui donne à ses paroles l’accent particulier aux dandies ?… » Quant à M. Brougham, alors le chef de l’opposition, désespérant sans doute de le peindre autrement, il en fait à la plume un croquis grotesque, dont nous regrettons de ne pas avoir le fac-similé. Dans la même quinzaine, il est admis à un concert donné par lady Saltoun, et se trouve mêlé pour quelques heures à ce que l’aristocratie anglaise a de plus brillant. L’aristocratie ne l’éblouit cependant pas outre mesure. « Les étoiles, dit-il, étincelaient sur la poitrine des gentlemen, et les diamans sur le cou des ladies. Pour dire vrai, celles-ci en avaient grand besoin, et je ne vis jamais assortiment plus ordinaire. Elles me rappelaient les comparses des romans de miss Edgeworth, ces figures de second plan qu’elle esquisse avec tant de bonheur. Une partie du concert était très remarquable, particulièrement un petit duo exécuté par deux jeunes filles françaises. On a eu assez bon goût pour le bisser, et je l’aurais, je crois, entendu toute la nuit sans m’en fatiguer. »

Une partie de ses soirées se passaient aux théâtres, et il rend