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le mécontentement. Et pourquoi non ? N’est-il pas « le centre de ceux qui aiment et défendent la religion en ce pays ? » Qu’il abandonne l’œuvre, « elle tomberait à l’instant. » D’ailleurs « le clergé s’améliore, les bonnes doctrines ont fait des progrès remarquables ; le jeune clergé séculier est excellent ; il aime ce qui est vrai ; mais il était temps de le lui dire. » On ne doit pas s’imaginer qu’on arrêtera le mouvement qui emporte les peuples. « J’ai vu toute la révolution, mais je n’ai rien vu qui ressemble au spectacle que nous avons sous les yeux. C’est comme une espèce de renversement prodigieux du sens humain, et le mouvement des passions n’est pas moindre que le désordre des esprits. La société ressemble à la mer au commencement d’une violente tempête. On entend des bruits étranges, les vagues courent et se brisent les unes sur les autres, les êtres vivans fuient ; ils pressentent qu’il y a danger de mort là-dedans. »

Mais hélas ! « là où l’on pourrait quelque chose, et même beaucoup, on ne sait rien, on ne fait rien, et l’on ne veut rien. C’est le siège de la peur et de la faiblesse, au point même de m’étonner. » Vingt fois cette plainte se répète, tantôt triste, tantôt amère, toujours soumise dans la forme. « On est bien faible là où on devrait être si fort ! — Oh ! combien il serait à désirer que Rome parlât ! Un mot d’elle tuerait les fausses doctrines qui nous menacent. Rien ne finit, faute d’un seul mot de l’autorité. Le temps presse plus qu’on ne croit ; nous approchons d’une crise terrible. — Quelque chose se prépare dans le monde… Tout ce qui a des yeux le voit clairement ; les peuples le pressentent, il semble que le pouvoir seul ne s’en doute pas. — Il est triste qu’on n’en finisse pas par une bonne décision que tous les catholiques attendent, et s’étonnent d’attendre si longtemps. — Si l’on savait combien les esprits sont préparés à ce qui finirait tout, quelle immense carrière l’église a devant elle, quel ascendant béni des peuples on pourrait prendre, si on voulait, sur un monde qui cherche, sans le savoir, une raison qui le conduise et une main qui le gouverne ! » Ainsi Lamennais, par cette invincible hallucination qu’on observe chez ceux qui se sont repus d’utopies, voit dans son mirage le monde renversé. Tout prend dans son imagination des proportions énormes ; la moindre taupinière est une montagne ; les agitations de la restauration sont des tremblemens de terre, et ce qu’il y a de plus extraordinaire, ce qu’il croit fermement, ce qu’il croira jusqu’à ce que le voile se déchire, c’est que la société aux abois attend du pape qu’il la sauve, — et comment ? En abolissant les quatre articles de l’église gallicane, et en décrétant, comme loi de l’enseignement philosophique, l’infaillibilité du genre humain renfermée dans la sienne !

Si l’on veut maintenant voir d’un coup d’œil, par un soudain contraste, ce que valent ces convictions nourries dans les profondeurs