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utile, si l’on ôtait à mes paroles l’espèce d’autorité qui seule peut les rendre efficaces, Dieu lui-même me délierait de l’obligation de continuer un sacrifice sans objet, et je retrouverais enfin dans une douce obscurité le repos et la paix, uniques biens désirables encore quand on a connu la vie. » En d’autres termes, Achille se retirera sous sa tente ; de là il verra la religion, pour n’avoir point adopté son principe inspiré par la Providence, crouler sous les coups des incrédules. Ne sentez-vous pas déjà vibrer ici sourdement, et douze ans d’avance, l’aigre ressentiment qui en 1834 jettera Lamennais, non-seulement hors de l’arène, mais hors de l’église ?

Il sollicitait, on vient de le voir, une approbation de Rome. Là aussi les esprits étaient divisés. Nous voyons par les lettres de l’abbé de Sambucy, cousin de M. de Bonald, chargé de faire traduire la Défense en italien, que le père Orioli, cordelier, avait accepté ce travail. Chose singulière, au collège romain c’était la philosophie de Locke et de Condillac qui repoussait la doctrine de l’autorité. « Le cardinal Litta, dit l’abbé Sambucy, gémissait avec moi, un peu avant sa mort, de cette sorte de tendance au matérialisme, et se proposait de changer cet esprit. » On manœuvrait auprès du maître du sacré palais pour faire arrêter l’impression. Un professeur consulté définissait ainsi le nouveau système : sistema falso in filosofia, péricoloso in teologia, ce qui n’était point assurément mal dit. L’archevêque de Gênes était de cet avis, Le cardinal de La Somaglia, l’évêque de Potenza et le père Orioli soutenaient tout l’effort des adversaires. On obtint du maître du sacré palais des approbations élogieuses et pour l’Essai et pour la Défense : « le système de l’autorité établi par l’auteur, y est-il dit, est parfaitement concordant (perfettamente coerente) aux principes de la religion manifestés par Dieu à l’homme. » En 1824, Lamennais fait lui-même le voyage de Rome, où l’on voudrait le retenir ; mais sa mission est en France, et il y revient « chercher des injures, des haines, des persécutions. » Déjà un groupe de jeunes adeptes aspire à se concentrer autour de lui ; le Mémorial catholique se met « sous la protection de son nom ; » il entreprend de fonder à Malestroit une petite colonie où s’allumera l’ardent foyer qui fera rayonner la doctrine ; il a des disciples qui l’appellent leur père, et dont les lettres respirent l’affection la plus tendre et tout le dévouement des jeunes années et des jeunes conceptions. En même temps les questions politiques du jour se mêlent de plus en plus, vers 1825, à la question philosophique, et l’on sait combien, à cette époque du déclin de la restauration, cette lutte échauffait tous les courages. Il publie son livre sur la Religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et civil. Les opinions gallicanes y sont pulvérisées et conspuées ; les prétentions romaines et le système théocratique y sont largement établis.