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J’ai la confiance que ma conduite, dans les trois derniers mois (j’ai presque dit dans les trois derniers siècles), ne doit me rien faire perdre dans ton esprit. »


Les autres lettres de nos compatriotes fournies par Humboldt à la collection de Varnhagen ne sont que des billets insignifians que l’éditeur eût bien fait de laisser dans le portefeuille de Varnhagen. Il faut faire exception cependant pour deux lettres encore. L’une a été écrite par Mme Récamier à l’occasion de la mort du prince de Prusse, de ce prince chevaleresque qui l’avait aimée d’un amour si ardent, et qui, pendant de si longues années, conserva obstinément l’espoir d’unir sa destinée à la sienne. Si l’auteur du recueil intitulé Souvenirs et Correspondance tirés des papiers de Mme Récamier eût possédé cette page, il n’aurait pas manqué de l’insérer dans sa collection ; on ne nous pardonnerait pas de l’omettre ici :


« Paris, 28 juillet 1843.

« Je n’ai pas d’expression, monsieur, pour vous dire combien je suis touchée de votre lettre ; vous m’avez épargné le saisissement d’apprendre par les journaux une nouvelle aussi douloureuse qu’imprévue. Quoique bien souffrante et bien affligée, je ne veux pas perdre un moment pour vous en remercier. Vous savez, monsieur, qu’il y avait bien des années que je n’avais vu le prince Auguste, mais je recevais constamment la preuve de son souvenir. C’est à l’époque la plus triste de sa vie que je l’avais connu chez Mme de Staël, où il avait rencontré tant de nobles sympathies. Hélas ! de la réunion si brillante et si agitée du château de Coppet il ne restait que lui ; il ne me reste plus à présent, des souvenirs de ma jeunesse et de tout ce passé de ma vie, que le beau tableau de Corinne, dont le sentiment le plus noble et le plus touchant avait orné ma retraite. Je n’ai pas le courage, monsieur, de prolonger cette lettre et de répondre aux détails si intéressans qui terminent la vôtre ; permettez-moi de ne vous parler aujourd’hui que de ma douleur, de ma reconnaissance et de mon admiration.

« J. RECAMIER. »


L’autre est signée aussi du nom d’une femme, et d’une femme qui a joué un rôle à part dans la société française. On sait avec quelle attention, quel esprit, quelle finesse, Mme la princesse de Liéven a suivi pendant de longues années les vicissitudes politiques de la France. A-t-elle écrit des lettres, des mémoires ? Je l’ignore ; en tout cas, aucune page de ses souvenirs n’a été publiée. La lettre suivante, qu’elle adressait à M. de Humboldt le 8 janvier 1856, aura donc au moins l’attrait des choses rares. Il faudrait la citer d’ailleurs, ne fût-ce que pour l’étrange anecdote qu’elle renferme.


« Paris, le 8 janvier 1850.

« Vous ne m’avez pas oubliée, mon cher baron. Je le sais par deux messages