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la chercher dans l’imagination ; contempler l’harmonie des mystères auxquels on ne croit point encore est contradictoire, car on n’y croit pas précisément parce qu’on n’y voit encore que tout le contraire de l’harmonie. Comment exiger de l’incrédule qu’il commence par croire, sauf à examiner ensuite avec le désir préconçu de se laisser convaincre ? Dans quelle circonstances de la vie, pour quels misérables intérêts raisonne-t-on ainsi ? Et quel cas fait-on d’une doctrine pour laquelle on réclame des concessions pareilles ? Ces systèmes font donc en réalité le vide sous la foi ; ils suppriment l’apologie en supprimant l’histoire, et, à moins de parler à des gens déjà convertis, ils aboutissent à se croiser les bras dans l’attente de la grâce de Dieu, qui doit se charger de tout ; ils ne sont plus qu’un pur fatalisme. Ils aboutissent encore, et c’est pour le mieux établir que nous avons fait ce rapprochement, à constater qu’aux singularités de ces diverses tentatives pour restaurer la foi, il y a une cause commune : l’extrême infériorité, je dirais presque l’entière insuffisance de la science catholique en présence de cette critique religieuse qui est le plus grand travail scientifique de l’époque, armée qu’elle est contre le christianisme de toutes les sapes de la philologie, de l’érudition et de l’histoire philosophique des traditions humaines.


III

Revenons à Lamennais. Nous avons déjà remarqué que les hommes, ceux-là surtout que travaille un besoin secret de déchirer les langes de leur éducation première, peuvent de très bonne foi ignorer le fond et les derniers replis de leur propre pensée. Il en est qui dénigrent la raison et lui disputent son droit : c’est qu’ils entendent imposer la leur. Ils veulent tout soumettre à une seule et unique autorité : c’est qu’ils entendent l’exercer eux-mêmes par quelque moyen indirect, ou peut-être parce qu’ils préfèrent l’autorité unique, qui est toujours fort loin ou fort haut, à celles qui les gênent de trop près. C’était le cas de Lamennais. Il plaçait la papauté au sommet des pouvoirs humains, temporels aussi bien que spirituels, mais à la condition d’inspirer le pape et de faire plier les évêques de France devant lui. Il était rationaliste à sa manière, et le plus impérieux des rationalistes. Suivons cette marche obscure d’un esprit qui ne se révèle à soi-même que par degrés.

Le succès éclatant du premier volume de l’Essai n’avait pas empêché quelques âmes religieuses, peu accessibles aux idées novatrices, de concevoir des défiances. Il était encourageant sans doute, pour les catholiques, de voir un apologiste éloquent refouler avec une rigueur apparente, et l’épée dans les reins, le protestantisme au